Cependant, la critique semble ne pas voir que l'on peut se fixer sur le scénario du pire, non pas comme pouvant ou devant se produire dans l'avenir, mais en tant qu'il pourrait ou devrait se produire si l'on entreprenait telle action. Dans le premier cas, le scénario du pire est de l'ordre d'une prévision; dans le second, c’est une hypothèse conditionnelle dans une délibération qui doit aboutir à choisir, parmi toutes les options ouvertes, celle ou celles qui rendent ce pire acceptable ; ou, dans une autre variante, l'opinion qui rend ce pire le moins dommageable possible - dans la théorie de la décision en incertitude, cette dernière démarche se nomme minimax, car il s'agit de rendre minimal le dommage maximum.
Dans la position que je défends, non seulement le « risque » - je dirais la catastrophe - reste une possibilité, mais seule l'inévitabilité de sa réalisation future peut conduire à la prudence. Le « scénario du pire » est en effet une notion floue. Pour telle action que l'on entreprend ou telle politique que l'on décide, jusqu'où le pessimisme peut-il raisonnablement aller ?
Que le « risque zéro » soit un idéal inatteignable qui entrave l'action, on doit en convenir. Mais c’est aussi là une fausse querelle. « Derrière le leitmotiv permanent, "le risque zéro n'existe pas", ce qui est une évidence, se cache un véritable refus d'appliquer sérieusement le principe de précaution, qui est le seul à pouvoir raisonner et humaniser le progrès.
Cette figure de l'individualisme moderne à pour matrice la monadologie leibnizienne, inséparable de la théodicée : il y a du mal dans le monde, mais, sans ce mal, le bien ne serait pas maximisé, le monde ne serait pas le meilleur des mondes possibles.
C’est au siècle dernier que l’humanité est devenue capable de se détruire elle-même, soit directement par la guerre nucléaire, soit indirectement par l’altération des conditions nécessaires à sa survie.
Le franchissement de ce seuil était préparé depuis longtemps, mais il a rendu manifeste et critique ce qui n’était jusqu’alors que danger potentiel.
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Nous tenons la catastrophe pour impossible dans le même temps où les données dont nous disposons nous la font tenir pour vraisemblable et même certaine ou quasi certaine. (…) Ce n’est pas l’incertitude, scientifique ou non, qui est l’obstacle, c’est l’impossibilité de croire que le pire va arriver.