Après un premier tome savoureux à souhait, un vrai coup de coeur, dans lequel j'avais pu goûter l'écriture inimitable d'
Isabelle Duquesnoy, j'avais envie de retrouver son humour pince-sans-rire.
Comme dans «
l'embaumeur », le charme incontestable de ces deux romans vient de son héroïne, Pâqueline, une femme à la fois ignominieuse et terriblement attachante que j'ai adoré détester.
Dans ce second tome, l'histoire s'éloigne de Victor Renard pour s'attacher à Pâqueline.
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Nous sommes à la fin de l'année 1798.
Le procès de son fils Victor Renard vient de s'achèver. La Pâqueline sort médusée et blessée par toutes les horreurs proférées par son fils à son encontre. Car, lors des auditions, Victor, devenu embaumeur par hasard, n'a ni mâché ses mots, ni ménagé ses efforts pour reculer le moment fatidique du jugement pour lequel il risque la peine de mort.
Ses longues confessions font de ce roman historique un récit particulièrement instructif et captivant.
L'auteure, historienne, prolonge dans ce livre, cette plongée dans le Paris brutal, insalubre et miséreux du XVIIIème siècle, révélant d'autres pratiques autour de l'exploitation des cadavres humains. Ces descriptions détaillées truffées d'anecdotes « monstrueuses » s'intègrent bien dans l'intrigue et rendent le récit authentique, riche et prenant.
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Sans logement, Pâqueline s'installe sans aucune vergogne, dans le logement luxueux de son fils qui n'en a plus besoin. Bien évidemment, il est en prison et ne risque pas de sortir d'ici tôt !
Et pour se venger de son humiliation pendant le procès, elle entreprend de rédiger ses mémoires sur les murs de l'appartement qu'elle saccage allègrement.
« Je vais déshabiller les murs de cet appartement pour les couvrir de mes écrits. Des secrets qui m'ont gangrené la vie, et que j'ai si longtemps gardés. »
Le rythme est donné par l'alternance entre le récit en cours et les souvenirs de Pâqueline. Elle n'épargne rien à son fils, et par la même occasion au lecteur.
« Mon fils.
Je voulais ici te jeter à la face mes quatre vérités, mais je sens bien que je me les lance à moi-même, en pleine figure.
Parfois quand j'écris le mot « fils », ma plume voudrait le prolonger jusqu'à « fistule ». Mes doigts la retiennent, à moins que ce ne soit mon coeur qui l'en empêche. Plus j'écris sur les murs de ton appartement, moins j'ai le courage de poursuivre. »
Et en même temps que les murs se noircissent des révélations sur sa vie et son enfance saccagée, son récit impudique et cru montre un autre visage plus émouvant et moins abject. Et je me suis prise à m'attacher à la petite fille qu'elle a été, simple, sincère, vive et innocente.
« J'aimais la géographie, le latin et la poésie ; on m'enseigna la couture, l'hygiène et comment traverser un salon sans trébucher sur les coins de tapis. »
L'auteure dresse un portrait touchant et plein d'émotions de Pâqueline. Malgré tous ses propos affligeants, j'ai eu de l'empathie pour sa vie âpre et misérable. Je n'ai pas pu la détester, la trouvant même profondément humaine.
Les révélations qu'on y lit change notre regard, sans toutefois complètement l'excuser. Cette femme est certes odieuse et détestable, mais on comprend le ressentiment et le dégoût qu'elle exprime vis à vis de son fils.
« Nourrisson, tout en lui la répugnait déjà ; son haleine de lait caillé, ses renvois qui giclaient sur les oreillers, ses bras potelés et blafards. Pâqueline avait à peine quinze ans et elle observait les autres mères s'extasier sur le ventre de leur enfant. le « petit bidon », comme elles disaient. Celui de Victor glougloutait, comme s'il abritait une créature marine ; il était pâteux, surmonté d'un nombril ressorti, pareil aux verrues sur le nez des sorcières. »
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Isabelle Duquesnoy est une fabuleuse conteuse qui sait inscrire ses personnages dans une époque fascinante.
Pâqueline et son fils sont particulièrement bien campés. L'auteure ne ménage pas ses efforts pour nous présenter une Pâqueline fragile, mais aussi mordante, ironique, inflexible. Elle surmonte les tracas de la vie avec philosophie et audace.
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Le récit est assez sombre, sans aucune concession, mais l'humour constant et caustique ne le rend pas glauque, sordide. L'écriture belle, lyrique et surtout les dialogues, souvent grossiers, rustres et incisifs, forment un contraste saisissant et ajoutent à cette ambiance surprenante et originale.
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Voici donc une histoire pleine de verve, de cynisme et d'intelligence qui m'a beaucoup plu par son style singulier, drôle et ses personnages hauts en couleur. J'ai été un petit peu moins séduite par ce second tome, l'effet de surprise étant passé, mais il n'en reste pas moins un très bon roman que j'ai pris plaisir à lire.
Pâqueline est le personnage fort de ce roman et j'ai aimé cette ambivalence des sentiments à son égard, mélange d'attirance et de répulsion.
« L'amour de son fils lui collait des convulsions du front jusqu'aux orteils. »
Ce roman est certes centré sur son destin, mais il est aussi une magnifique fresque de la société du XVIIIème siècle.
Une très belle suite qui permet de rapprocher les deux points de vue, celui de la mère et du fils.