Après notre voyage sur le chemin de la retraite française, lorsque je me trouvais sur des falaises trop raides, en des bivouacs trop froids, j'ai souvent pensé à ces bougres rampant sur la route de glace, emmitouflés dans leurs haillons, nourris de tripe faisandée, et j'ai ravalé la glaire des grognements qui me venait aux lèvres.
Par grand froid, on ne peut empêcher la pensée de cingler vers le souvenir des chairs chaudes.
Les trente glorieuses avaient servi à cela : nous aménager des paradis familiers, des bonheurs domestiques, des jouissances privées.
Nous avions tendu un fil terrestre de Moscou jusqu'en cette cour. J'avais l'impression de me réveiller d'un songe long de 4 000 kilomètres.
Cet été-là, nous frôlions chaque jour des icebergs plaintifs. Ils passaient tristes et seuls, surgissant du brouillard, glaçons dans le whisky du soir.
La neige était le linceul qui convenait à ce pays de bataille. L'histoire l'avait tellement écrasé qu'il était archiplat.
Nous n'eûmes pas besoin d'exhiber nos visas à un poste de douane : il n'y en avait pas. Nous entrâmes en Biélorussie comme une lame russe dans le gras d'un ukrainien.
L'espoir meurt en dernier.
Un casque de moto est une cellule de médiation. Les idées, emprisonnées, y circulent mieux qu'à l'air libre.
Qui était Napoléon ? Un rêveur éveillé qui avait qui avait cru que la vie ne suffisait pas.
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