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Critique de Alterran


Nous suivons Nick Stavrianos, détective privé et ancien flic.

Laura Andrews est handicapée mentale sévère et a été enlevée. Nick est mis sur le coup par un client inconnu. Il accepte pourtant le contrat sans s'imaginer les conséquences pour lui, les autres et le monde.

Nous sommes en 2068. La planète vit sous une chape inconnue (la Bulle) depuis 33 ans : un beau jour, les étoiles disparaissent et sont occultées par un voile mystérieux qui isole le système solaire du reste de l'univers. Personne ne peut avancer de théorie suffisamment solide pour l'expliquer. Les premières émeutes émergent en même temps que les premiers mouvements fanatiques religieux. Pourtant, ce changement radical n'apporte finalement aucune transformation à la vie paisible sur Terre et la majorité des gens, plus stoïques qu'extrémistes, reprennent leur train-train quotidien, faute de mieux.

Cela m'a tout de suite fait penser à l'excellent Spin de Robert Charles Wilson. Nul doute que RCW s'est fortement inspiré de l'oeuvre de Greg Egan pour créer son Spin. Mais la comparaison s'arrête là, car la suite du récit va invariablement dévier vers des réflexions quantiques, et une en particulier, qui vont se révéler être le pilier du livre (nous y reviendrons).

Le progrès technologique a été notable dans cette société de fin de XXIe siècle : les gens ont, moyennant finance, la possibilité d'acquérir des mods, des sortes de mini-programmes implantés directement dans le cerveau afin d'aider dans certaines tâches (par exemple le mod Maître-Chiffre de Nick qui lui permet de centraliser une grosse quantité de données ou encore En coulisse pour croiser et rechercher des données, etc.) Cela va même encore plus loin ; d'autres mods à usage privé permettent d'invoquer une rémanence d'un être aimé disparu et permettent d'interagir avec eux, comme s'ils étaient encore vivants. Tout cela avec la simple volonté; il faut s'imaginer une sorte de nano Google Glass implanté dans le cerveau sous forme de puce et où les infos invoquées apparaissent en superposition du champ de vision. Autre intérêt des mods : l'amorçage qui permet un bien-être relatif et d'échapper aux turpitudes habituelles quand on les active…

Ainsi, Rick se met sur la piste de Laura et très vite les premiers obstacles apparaissent. Comment une handicapée mentale a-t-elle pu s'échapper de l'institut médical dans lequel elle était plus ou moins enfermée? Rick finit par émettre des hypothèses et une piste l'amène à se rendre à New Hong Kong (NHK), dans le nord de l'Australie. de là, il va retrouver la trace de la disparue et se faire attraper par l'agence Biomedical Development International (BDI) qui a organisé l'extraction de Laura. BDI va alors lui implanter de force un mod de loyauté qu'il ne pourra plus désactiver ni même imaginer avoir envie de le faire. Car il s'agit bien de cela: un mod de loyauté vous enlève toute velléité à son égard, pis, vous embrasser la cause de sa fonction et pour Rick, sa nouvelle raison de vivre devient le but également recherché par BDI: l'Ensemble.

Cette première partie du roman, que l'on pourrait qualifiée de technopolar évoque des thèmes chers à Greg Egan ; les réfugiés (NHK), le libre arbitre (les mods et une petite dédicace à Orwell :)) et l'éthique. Passée cette étape, la suite du récit s'oriente beaucoup plus clairement vers une réflexion ontologique sur la physique quantique.
Une enquête quantique

La principale réflexion enchâssée dans la deuxième partie du roman est la mécanique quantique où comment l'auteur arrive brillamment à déployer, à personnifier une des théories quantiques à travers son histoire. Cette théorie est celle de von Neumann qui consiste à dire que l'observation à elle seule permet la réduction du paquet d'ondes dans le champ des possibles des états quantiques et permet ainsi de définir la réalité que nous percevons. Je vous rassure, pour illustrer tout ça, Greg Egan utilise plusieurs exemples dans le livre qui permettent de saisir l'implication d'une telle chose. J'avoue avoir été complètement bluffé et c'est là que j'ai perçu le génie de Greg Egan. Après quelques recherches, j'ai pu constater que cette théorie n'avait plus les faveurs des scientifiques (Greg Egan a écrit ce livre en 1992), pour autant, l'impact macroscopique de cette théorie est vraiment séduisant et rend le récit particulièrement accrocheur.

On peut alors se demander quel est le lien entre une handicapée mentale qui semble susciter les convoitises, la Bulle et l'Ensemble. Sous peine de dévoiler la suite, je vais en rester là sur l'intrigue mais un lien existe et on le perçoit peu à peu.
Des éléments perfectibles

Principalement deux: le style de l'auteur et le développement des personnages. le style peut paraître froid, clinique, surtout dans la deuxième partie du roman. On a l'impression parfois d'assister à un cours relevé sur la mécanique quantique plutôt qu'à un récit de SF. En fait, pour être plus précis, j'ai eu l'impression que le récit de la deuxième partie du roman servait d'alibi à l'auteur pour pouvoir placer ses idées, certes géniales. L'intrigue cède le pas face au cours magistral du docteur Egan. Cela pourra en désarmer certains, mais les puristes savoureront.

Les personnages sont, là aussi, sous-exploités. On est même parfois perdu. Rick, le personnage principal, nous gratifie parfois de réflexions intéressantes mais on a du mal à s'y attacher pleinement. C'est un point qui diverge totalement d'avec Robert Charles Wilson pour le coup. Il faut dire que le futur dépeint par Greg Egan accentue ce sentiment : un futur au tout technologique, moderne, froid. N'est-ce pas le lot de tout récit de hard SF? Privilégier l'aspect scientifique plutôt que l'aspect fictionnel? Peut-être…

Enfin, quelques longueurs et répétitions sont a déplorer en fin de roman.
En conclusion

Avec ce récit, Greg Egan signe une oeuvre magistrale sur fond d'enquête quantique. Si quelques éléments, comme les personnages où le style de l'auteur peuvent paraître en deçà de tout excellent récit de SF, la mise en oeuvre de la mécanique quantique et ses implications sont éblouissantes.

Vous l'aurez sans doute deviné, le récit est exigeant et difficilement accessible pour tout un chacun. Non pas qu'il faille détenir un doctorat en science pour pouvoir comprendre l'enjeu du récit, mais quelques bases en physique quantique est quand même un plus pour pouvoir apprécier pleinement ce livre. Après avoir dit cela, il ne fait aucun doute que si les sciences dures en générale et la physique quantique en particulier vous intéresse, ce livre est fait pour vous.
Lien : https://espaceduntemps.fr
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