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Citations sur La société du malaise (11)

11. « À travers le malaise sont formulées et agrégées dans un langage familier, que chaque Français reconnaît spontanément, qu'il soit d'accord ou non, des craintes résultant de la confrontation de nos arrangements institutionnels antilibéraux à un contexte libéral. Les changements y sont énoncés et perçus comme déclin (perte d'autorité des institutions, précarisation de la vie, perte des repères, etc.), et les cibles en sont les valeurs de choix et la compétition qui apparaissent comme les symboles d'une crise de notre vivre-ensemble. Leur prix se mesure à ces nouvelles souffrances psychiques d'origine sociale. La matière de ce discours est la pensée sociale française, qui valorise l'autonomie, mais comme indépendance, et tient à l'égalité, mais comme protection. La division française sur l'autonomie est liée à la relation de celle-ci aux valeurs et aux normes de la compétition, d'une part, et au déplacement de l'égalité de protection à celle d'opportunités, d'autre part. Ce sont nos drames de familles qui se déroulent sur cette scène, c'est notre rhétorique de groupe qui s'y développe. » (pp. 336-337).
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8. « On ne se libère pas de la verticalité sans en payer très concrètement le prix affectif. Ce sont les nouvelles pathologies de l'idéal, ces névroses de caractère qui sont les malheurs de l'horizontalité comme les névroses de transfert étaient des pathologies de la verticalité. "Aux maladies du père (névrose obsessionnelle, hystérie, paranoïa) ont largement succédé les maladies de la mère (états-limites, schizophrénies, dépressions)" [M. Schneider, 2002]. Ces pathologies concernent l'idéal au sens où elles sont causées par un déclin social réel de l'imago paternelle dans la société, et donc de la série institution, symbole, transcendance, hiérarchie, limite qui forme une famille conceptuelle. La dépression est à la fois le prototype et le syndrome majeur de ces pathologies, mais les troubles alimentaires, les addictions et les "agirs", ces impulsions violentes ou suicidaires où le passage à l'acte remplace le symptôme, les psychopathies, les psychosomatisations font aussi partie de cette espèce. […] La déliaison se voit tout particulièrement dans le souci pour les "limites". » (p. 229)
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10. « La souffrance sociale donne lieu à de nouvelles pratiques de prise en charge des perdants du néolibéralisme. Il s'agit bien des perdants au sens où la problématique de la perte, et non celle du conflit (névrotique), est l'aspect central du mal dont souffrent ces personnes. Les cliniciens parlent dans leur langage technique d'altérations narcissiques. Leur but est de lutter contre la culpabilité de ne pas être à la hauteur des exigences du monde d'aujourd'hui. […] Entre la désorganisation des personnalités et les inégalités sociales, un nouveau rapport vient s'établir. Le problème crucial autour duquel tourne la clinique psychosociale est moins de protéger les plus pauvres de la compétition que de leur fournir les moyens d'y entrer et d'y rester. Depuis une vingtaine d'années, ces pratiques consistent à refaire les liens défaits par le capitalisme et à réorganiser les personnalités désorganisées qui en sont la conséquence. » (p. 303)
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9. « La souffrance sociale en est venue à occuper une place centrale dans les représentations que la société française se donne d'elle-même à travers trois lignes de transformation. La première concerne les formes d'organisation du travail visant à la flexibilité. La deuxième ligne de transformation est l'apparition d'une population au statut professionnel précaire et/ou dans un chômage de longue durée. Le salarié et le chômeur sont soumis à des contraintes d'autonomie qui font appel à leur subjectivité, le premier pour satisfaire aux nouvelles exigences de flexibilité, le second pour se réinsérer dans le monde du travail. Appel à la subjectivité, cela signifie une manière d'agir dans le travail comme dans le chômage consistant à s'affirmer, à faire preuve de ces compétences que l'on appelle relationnelles, sociales, psychologiques ou personnelles, les quatre adjectifs désignant l'idée que l'individu est tenu de montrer de la personnalité. Cette "personnalité" est techniquement exigée jusque dans les emplois à faible qualification et dans les contextes les plus contraints par la pauvreté. Avec la souffrance sociale, nous abordons donc l'autonomie non plus sous l'angle de la liberté de choix, mais sous celui de l'action et de la compétition. » (p. 258)
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7. « Alors qu'aux États-Unis la critique de l'individualisme se soucie de déclin de l'engagement civique, l'accomplissement personnel l'emportant sur l'égalité et le bonheur privé sur le bonheur public, en France elle se manifeste par la crainte d'un abandon de la société par l'État favorisant une compétition sans limites aux dépens des plus faibles et d'un abandon des individus à eux-mêmes qui se voient alors pris dans le risque ("américain") consistant à rejeter sur chacun la responsabilité de son propre échec ("blaming the loosers"). C'est ce changement que l'on a pris l'habitude de qualifier de "désinstitutionnalisation". » (p. 219)
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6. « Entre les États-Unis et la France, nous avons donc deux attitudes face au symptôme comme à la société que Heinz Hartmann et Jacques Lacan incarnent. À une psychanalyse dans le monde s'oppose une psychanalyse hors du monde se donnant une position de surplomb d'où elle peut en juger le cours. Le modèle lacanien s'oppose au business du monde et à ses hiérarchies au profit d'une autre scène dont les lois sont inversées : les idéaux sociaux y sont le ressort des illusions névrotiques que sont les symptômes. C'est la vérité que le sujet en analyse doit découvrir : l'autonomie de l'individu est subordonnée à l'hétéronomie du sujet. La vérité de l'être humain n'est pas l'autonomie, qui n'est qu'illusion du moi, mais la reconnaissance de la loi à laquelle il est soumis – surtout si c'est la loi du désir. À la focalisation de la psychanalyse américaine sur l'ego capable de s'adapter en supportant les frustrations s'oppose l'assujettissement français du sujet à une loi qui est sa vérité. Ce sujet y parle moins qu'il n'est parlé par des chaînes signifiantes. Sa vérité réside dans ce sur quoi il n'a pas prise. » (p. 187)
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5. « Aux États-Unis, les pathologies de l'idéal sont le signe d'une crise d'assertion personnelle (de la self-reliance) mettant en danger les idéaux du self-government. En France, au contraire, c'est l'assertion personnelle, l'obligation nouvelle de s'affirmer, d'avoir de l'initiative, d'être à la fois compétitif et coopératif, particulièrement dans le monde du travail, qui est un foyer d'inquiétudes. C'est l'excès de responsabilité individuelle qui est en jeu et non, comme chez les Américains, sa diminution ou son insuffisance. Le récit français correspondant à la jérémiade américaine est "déclinologique". Il formule les conséquences négatives de l'autonomie, ses excès ou ses fourvoiements, ses illusions et ses dangers. La déclinologie est le récit d'une société pensant faire face à une perte de substance de sa vie commune se formulant dans la série désinstitutionnalisation, psychologisation, privatisation. Car en France, "personnel" est bien souvent équivalent à "privé" et à "particulier". Cette idée s'enracine dans les principes de la Révolution française qui oppose l'intérêt général à l'intérêt particulier. » (p. 146)
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4. « Le complexe de Narcisse appartient à cette vision prophétique de l'Amérique qu'Emerson a développée, symbole de la "mutualité de l'indépendance et de l'interdépendance". La dévitalisation de la démocratie (l'émotivisme qui dégrade la morale en préférence individuelle, la centralisation fédérale qui engendre la dépendance, les experts qui contrôlent la vie privée, etc.) se montre dans cette crise de l'assertion personnelle qu'est le narcissisme. Les Jérémies américains dénoncent la corruption de la société en regard de l'idéal de fusion du personnel et du commun. Que l'Amérique soit damnée ou sauvée, tous ces récits sont centrés sur les trois composantes de l'autonomie. C'est l'incapacité à être autonome – et coupable – que personnifie l'individu narcissique, c'est elle encore que symbolise le triomphe de la thérapie. L'angoisse de Narcisse si dépendant du regard des autres, si sensible à l'estime qu'ils lui portent est un symbole éclatant de la crise de la self-reliance et du self-government, de ce nouveau cours pris par l'individualisme qui ne semble plus faire de l'affirmation de soi un processus d'incorporation à la compagnie des hommes. » (p. 135)
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3. « Une classe de pathologies suscite des discussions passionnées au sein de la psychanalyse américaine dans les années 1950 et 1960 : les pathologies narcissiques et les pathologies limites. […] à partir des années 1980, le débat s'effondre face à la pluralisation d'une psychanalyse qui ne se différencie plus des psychothérapies, notamment parce que la pulsion, les fantasmes et la sexualité y occupent une place marginale. La distinction entre les deux classes de pathologies n'est pas claire. On peut considérer que les pathologies limites désignent globalement une population de patients à la limite de la névrose et de la psychose et que les pathologies narcissiques distinguent, au sein des cas limites, un groupe de patients pour lesquels la problématique narcissique est centrale. Dans les pathologies narcissiques, et non dans les névroses dites de transfert (hystérie, obsessions, phobie), une entité spirituelle agissante est en cause : l'estime de soi. » (p. 70)
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2. « Ces pathologies polarisent l'aspect destructeur de l'individualisme. […] Mais pour bien décrire cet aspect, pour lui rendre justice, il faut substituer à la question "Qu'est-ce qui cause ces pathologies ?", une autre question : "Que cherchons-nous à mettre en forme ?" Ma réponse est qu'à travers les pathologies de l'idéal nous donnons forme à une inquiétude caractéristique du mode de vie démocratique et repérée très tôt par Alexis de Tocqueville, celle de la déliaison sociale, de la perte de substance de la vie commune. […] Cette inquiétude se formule différemment en France et aux États-Unis : chez nous, c'est autour de la notion d'institution qu'elle se concentre alors que, chez eux, c'est sur le "self" ou la personnalité qu'elle porte. » (p. 26)
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