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Critique de JerCor


Le système technicien est une oeuvre majeure de Jacques Ellul écrite en 1977. Il y fait la synthèse de ses réflexions sur l'impact du progrès technique dans la société.

Il a probablement lu tout ce qui s'était écrit sur le sujet à son époque, depuis les plus fervents soutiens à la technique jusqu'aux plus grands contempteurs, en passant par les transcriptions de colloque internationaux.

Grand connaisseur de la théorie marxiste, bien que très critique, il estime que celle-ci ne parvient plus à rendre compte, à son époque, de la marche du monde.

Ellul estime que ce qu'il appelle « le système technicien » en est devenu le facteur déterminant. Il montre que, à terme, ce n'est rien moins que la raison et la liberté de l'homme qui sont menacées par ce système, mais pas forcément pour les raisons qu'on pourrait croire.


La technique comme facteur déterminant

Lorsque Marx déclarait que l'économie était le facteur déterminant de l'histoire, il donnait une grille de lecture efficace pour lire le monde. Ellul estime que si Marx avait vécu à son époque, il aurait probablement considéré la technique comme nouveau facteur déterminant 1.

Le concept de facteur déterminant a été beaucoup critiqué en sociologie comme en histoire. Ellul reconnaît le danger qu'il y a à vouloir ramener à un seul facteur déterminant les multiples phénomènes ou problèmes d'une société globale. Toutefois, il ne lui semble pas impossible de discerner, parmi un ensemble de facteurs à conserver comme explicatifs, un facteur qui sera plus effectif, plus contraignant.

Si Ellul reconnaît à Marx d'avoir su isoler le facteur déterminant de la société capitaliste, il lui reproche d'avoir voulu le généraliser à toutes les sociétés et à toutes les périodes historiques. Pour Ellul, depuis les années 1950 la technique a supplanté l'infrastructure économique en tant que facteur déterminant.


L'autonomie

Le domaine de la technique se caractérise par une forme d'autonomie par rapport aux autres sphères :

Autonomie envers l'infrastructure économique
Quelque soit le système économique, la technique engendre les mêmes dérives, les mêmes risques. Que ce soit l'URSS communiste ou le monde occidental, les menaces pour l'humanité y sont tout aussi considérables. le régime économique n'impacte donc nullement la sphère technicienne.

Autonomie envers la science
Généralement, on considère que la science est libre, neutre ; qu'elle se sert de la technique pour progresser. Ellul récuse ces vues simplistes : l'interpénétration Science/Technique a signé « la fin de l'innocence scientifique ». Sciences et techniques sont trop imbriquées pour que la première puisse donner objectivement des directives à la seconde.

Autonomie envers le champ politique
Ellul rejette cette vue superficielle des politiciens, philosophes 2 ou autres idéologues qui se résume à croire que l'État décide, la Technique obéit. Dès lors, il suffirait que le politicien fasse le bon choix et tout irait pour le mieux... En réalité, il n'y a pas un bon et un mauvais usage de la Science ou de la Technique. Si la technique le permet (ex. : la bombe atomique), la politique s'en emparera très certainement.

Ellul ne nie pas la prise de décision politique au sujet de la Technique. L'État n'est pas indifférent à la technique. Tout au contraire ! Car la technique lui permet d'augmenter son domaine d'intervention.

Il met d'ailleurs en lumière ce paradoxe moderne qu'on assiste tout à la fois à une forte croissance de l'État et une décroissance inquiétante de la fonction politique. L'État tend en effet à étendre son domaine de compétence, ce que lui permet la technique (surveillance, etc.). Mais ces décisions, pour cette raison, sont le plus souvent d'ordre technique et de moins en moins d'ordre politique.

C'est donc bien en raison de la complexification technique que l'homme politique dépend de plus en plus étroitement des bureaux d'études, des experts qui préparent les dossiers.

Et de surcroît, nous dit Ellul, on observe « une remarquable conjonction : l'État est assorti de plus grands moyens de puissance par la technique, or l'État est lui-même un organisme de puissance, il ne peut donc aller que dans le sens de la croissance »

Autonomie envers le champ intellectuel
C'est une pensée forte chez Ellul : c'est être totalement naïf que de croire que l'homme maîtrise la Technique. « L'homme dans son orgueil, l'intellectuel surtout, croit encore que sa pensée maîtrise la technique, qu'il peut lui imposer telle valeur, tel sens, et les philosophes sont à la pointe de cette vanité. »


La technique comme milieu

La technique se présente à l'homme comme un milieu. Dès notre naissance, nous baignons dans un environnement technique. Les moyens techniques sont une médiation entre l'homme et le milieu naturel (Simondon). L'une des caractéristiques majeures de cette médiation, selon Ellul, est d'être exclusive. Il n'y a plus de rapport de l'homme à la nature, « tout cet ensemble de liens complexes et fragiles que l'homme avait patiemment tissé, poétique, magique, mythique, symbolique disparaît : il n'y a plus que la médiation technique qui s'impose et devient totale ».

Non seulement elle est la médiatrice entre l'homme et le milieu naturel, mais elle est aussi médiatrice entre les hommes : ceux-ci entrent de plus en plus en contact les uns avec les autres au moyen d'instruments techniques, de techniques psychologiques, etc. Rappelons qu'Ellul écrit cela en 1977. le smartphone et les ''réseaux sociaux'' n'existent pas encore !

C'est cette médiatisation technique de la relation humaine qui produit le phénomène sur lequel on ne cesse de s'étonner, le sentiment croissant de solitude individuelle dans un monde de communications généralisées.


La technique comme système

« La technique ne se contente pas d'être, et, dans notre monde, d'être le facteur principal ou déterminant, elle est devenue système. »

Ellul fait ici un long développement sur l'ordinateur et son rôle dans notre société. Sa thèse affirme que : « C'est l'ordinateur qui permet au système technicien de s'instituer définitivement en système ».

Jusqu'ici les grands ensembles techniques n'avaient que peu de relations entre eux. Les secteurs devenant de plus en plus spécialisés, l'ensemble tendait à devenir incohérent. Réunifier tout cela, aucun homme, aucun groupement humain ne pouvait le faire. Seul l'ordinateur pouvait y répondre. Ce n'est pas tant que l'ordinateur remplace l'homme comme dans les films de science fiction aux scénarios volontairement pessimistes. L'ordinateur remplit en réalité une tâche purement technique inaccessible à l'homme.

Il n'y a aucunement concurrence entre l'homme et l'ordinateur. Ellul persifle tous ces discours anthropomorphes qui font de l'informatique aussi bien un démon tout puissant qu'un robot serviteur et docile. Il rejette de même le discours selon lequel l'ordinateur sera un atout pour la démocratie ou une aubaine pour la dictature selon les choix humains : « Tout ce discours est absurde : la seule fonction de l'ensemble informatique est de permettre la jonction, souple, informelle, purement technique, immédiate et universelle entre les sous-systèmes techniques. C'est donc un nouvel ensemble de fonctions nouvelles, d'où l'homme est exclu, non par concurrence mais parce que personne jusqu'ici ne les a remplies. Bien entendu, cela ne veut pas dire que l'ordinateur échappe à l'homme, mais que se met en place un ensemble qui est strictement non humain. »

Premier pas vers l'exclusion de l'homme.

La suite sur le Blog Philo-Analysis :
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