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Critique de Frederic524


« Celui qui veille » le nouveau roman de Louise Erdrich est un événement, comme à chaque parution chez Albin Michel d'un de ses livres. Celui-ci encore davantage, car il a été récompensé du Prix Pulitzer 2021. Un roman choral où l'on retrouve la voix si singulière et sublime de l'auteure, son style d'écriture tout en subtilité, délicatesse et émotion mais sans omettre de dire les choses, de les dénoncer avec force. La grande voix du roman américain contemporain, s'intéresse une nouvelle fois aux peuples Indiens et à leur sort dans cette histoire troublée et peuplée de fantômes des massacres perpétrés contre les Indiens par les États-Unis. Placé ensuite dans des réserves, les Indiens ont été forcés à l'assimilation avant qu'une loi inique, venant de Washington, ne cherche à bouleverser une énième fois les traités dûment signés entre les peuples indiens et Washington, l'État fédéral. Librement inspiré de la lutte pour la préservation des droits de son peuple de son grand père maternel dans les années 1950, Louise Erdrich nous plonge, nous immerge dans ce débat bouillonnant.

Deux histoires se croisent dans ce beau roman. La première est celle de Thomas Wazhashk qui est veilleur de nuit dans une usine de pierres d'horlogerie de la réserve de Turtle Mountain. Mais il est également, le président du conseil tribal de Turtle Mountain, celui qui veille sur son peuple et qui va se lever, vent debout, contre la résolution du Congrès des États-Unis stipulant que les Indiens allaient être émancipés. Ce terme « émancipation » fait réfléchir Thomas qui comprend la supercherie et la duperie se cachant derrière ces termes employés. « Émancipations », ils n'étaient pourtant pas des esclaves. Les émanciper de leurs statuts d'Indiens, les émanciper de leurs terres. En fait, on souhaitait ni plus ni moins que les libérer des traités que son père Biboon, et son grand père avant lui, avaient signés. Des traités censés durer pour toujours. Pour Thomas, il fallait lutter pour que la tribu reste « un problème » et pas pour que leurs statuts d'Indiens ne leurs soient ôtés. Au fond, la duplicité du Congrès est situé dans cette envie de vendre les terres des Indiens pour les « relocaliser » ailleurs. C'est un dialogue de sourd qui s'installe, un combat de longue haleine qui est parfaitement retranscrit ici, car on le sent, c'est un sujet qui tient à coeur à Louise Edrich puisque qu'elle nous parle de cette figure tutélaire de ce grand père maternel et de son peuple : les Chippewas.

Nous sommes dans le Dakota du Nord en 1953, (lieu de naissance de Louise Erdrich), et c'est ici que la grande histoire, celle de Thomas rejoint un autre récit : la quête de Pixie pour retrouver à Minneapolis sa soeur aînée Vera et son bébé. Celle-ci n'a plus donné signe de vie depuis des mois. Pour la première fois Pixie va quitter la réserve. Elle est la nièce de Thomas et une employée chippewas de l'usine. Elle a une forme de singularité et d'innocence car elle souhaite faire des études et ne veut, pour le moment, ni mari, ni enfants. Elle a un père alcoolique quittant le foyer familial. Une grande pauvreté dans ces réserves mais aussi la fierté de maintenir la langue chippewas, les traditions qui cohabitent avec leurs nouveaux usages instaurés par les hommes blancs. Il y a une profonde méfiance face à ces hommes qui leur ont bien trop souvent menti. Pixie fabrique elle-même sa valise car elle n'a pas l'argent pour en acheter une, chez elle, il n'y a pas d'électricité mais par contre, il y a l'amour d'une mère : Zhaanat. Les femmes ont un rôle très important dans le roman de Louise Erdrich. Elles sont les gardiennes des traditions, des valeurs de leur peuple, protectrice de leurs époux et de leurs enfants comme Rose, la femme de Thomas. Nul manichéisme pour autant, la complexité des rapports humains entre les Indiens eux-mêmes est parfaitement rendu. Pixie est un personnage de jeune fille fort attachant. Deux hommes aiment passionnément Pixie : un professeur de boxe blanc, Barnes, qu'elle n'aime pas. L'autre homme est lui aussi boxeur et il s'appelle Wood Mountain, un colosse au grand coeur. Cette histoire, celle de Pixie est celle qui m'a le plus passionné. le combat de Pixie et celui de Thomas, leur courage, leur abnégation m'ont profondément ému.

C'est assurément un de ces romans que l'on n'oublie pas. Magnifiquement écrites, ces deux histoires n'en formant qu'une, vont vous bouleverser. Louise Erdrich renoue avec ce qu'elle sait faire de mieux, parler de l'histoire des peuples indiens, leur offrir par sa plume, une voix qui ne s'éteindra pas , celle de la littérature intemporelle comme vecteur puissant d'expression du mal être mais aussi de la beauté de la culture indienne.
Lien : https://thedude524.com/2022/..
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