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Critique de gabb


Elle c'est Irene, lui c'est Gil.
Lui peint, elle pose. Pour lui, exclusivement.
Elle l'obsède, il l'étouffe : entre eux deux l'issue semble inéluctable...

Pourtant jadis ils se sont aimés, longtemps la muse a transcendé l'artiste, mais qu'en est-il aujourd'hui ?
À l'heure où Louise Erdrich s'immisce dans l'intimité de ce couple à la dérive, que reste-il de cette passion ancienne ?
Quand, comment et pourquoi le chaos adviendra-t-il ?
À quel jeu (d'ombre) Irene joue-t-elle en tenant simultanément deux journaux intimes, dont elle sait que l'un est lu en cachette par Gil (le carnet rouge, celui qu'elle falsifie pour attiser la jalousie de son époux) ?

Autant de questions qui m'ont d'abord laissé envisager un drame tendu et addictif, mais qui hélas n'ont pas complètement produit l'effet attendu.
En lieu et place des deux personnages que j'espérais complexes mais dont je comptais bien réussir à décrypter les turpitudes, les rancoeurs et les ressentiments, l'auteur m'a plutôt proposé deux portraits relativement brouillons, deux êtres aux personnalités confuses mais pareillement détestables, qui tout au long du roman se sont livrés à un jeu malsain de manipulations, de vengeances et de coups bas, de vrais conflits et de fausses réconciliations sans qu'il me soit jamais permis, sinon de prendre parti pour l'un d'eux, au moins de pouvoir les comprendre, de saisir la nature exacte de leur relation...

Heureusement le style de Louise Erdrich, dont on m'avait plusieurs fois vanté les mérites, est à la hauteur de sa réputation.
La construction du récit, un brin déstructurée, mélange allègrement des fragments des fameux carnets rouge et bleu, des scènes de disputes entre Irene et Gil, des épisodes lointains de leur vie de couple ou encore des réflexions sur l'hérédité, l'ascendance amérindienne de la famille (thématique si chère à l'auteur !).
On y trouve enfin de jolis passages sur la peinture, et plus généralement sur le processus de création artistique, devenu peu à peu la source principale de l'affrontement permanent que se livrent les deux protagonistes ("Peu importait qu'Irene soit en colère. En fait, c'était mieux. Quand ils étaient heureux, quand Gil pouvait compter sur son adoration quotidienne, les tableaux semblaient virer à l'insipide. Il devait combattre le sentiment de satisfaction. Au fur et à mesure qu'elle s'éloignait de lui, les tableaux devenaient plus forts. le violent désir qu'il avait d'elle leur donnait vie. Dans ses tableaux, il mettait son chagrin, la nature insaisissable d'Irene, l'avidité de son étreinte, le rejet d'Irene, l'amertume de son espoir, la rage maussade d'Irene. Il avait pris conscience que plus leurs rapports étaient tendus, plus son travail en bénéficiait.")

Voilà dans les grandes lignes la teneur de ce roman pesant, qui offre une vision glaçante du couple, de l'incommunicabilité entre les êtres, des secrets que chacun dissimule et des soupçons mortifères qu'ils engendrent.
L'histoire cruelle d'un glissement de l'amour à la haine, une longue errance dans un no man's land d'indifférence entre deux blocs d'aigreur ("Gil avait un mur. Irene avait un mur. Entre les deux murs existait une zone neutre, intacte, une étendue sauvage où se trouvait tout ce qu'ils ne savaient pas et ne pouvaient imaginer sur l'autre [...] un espace semblable à la zone démilitarisée entre les deux Corées.")

Personne n'a tort, personne n'a raison, aucun des deux belligérants n'aura su me rallier à sa cause.
Malgré la plume efficace de Louise Erdrich, figure emblématique de la littérature américaine, j'ai fini par me désintéresser du conflit larvé entre Irene et Gil.
Un partout balle au centre, et en qui me concerne, fin de partie et retour aux vestiaires.
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