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Critique de gouelan



Est-ce une fiction ou bien l'enfance et l'ascension d'Annie Ernaux se cachent-ils encore derrière cette Denise surdouée qui finit par écraser de son mépris ses parents, les gens du quartier, ses copines qui n'ont pas eu la chance ou les facultés de grimper l'ascenseur tout beau, tout propre ?


Une histoire violente.

J'ai mal à mes grands-parents, à mes parents. À leur patois, leur gallo, leurs gestes rudes, à leur façon d'être qui collait à ce qu'ils avaient traversé d'épreuves et de joies parfois. Plus je vieillis, plus je les aime. Ils n'étaient pas comme il faut, ils ont fait comme ils étaient, comme ils pouvaient. Ils étaient richement pauvres.


J'ai mal "à moi", car même si je lis beaucoup, si j'ouvre les bras vers d'autres univers, d'autres pensées, je ne serais jamais cultivée comme on peut l'être lorsque l'on tombe dans cette confiture à la naissance. Mes mots et mes gestes auront toujours la couleur de mon enfance, de mes ancêtres. Parfaitement maladroits, authentiquement gauches, sans trop de peintures, d'élégance classique. Et tant mieux.


Lorsque je grimpe dans mon arbre généalogique, récoltant les trésors de tous ces laboureurs bretons jusqu'au 16ᵉ siècle au moins, je les imagine bons, courageux, sauvages, rudes. En habits rapiécés, délavés. Durs à la tâche, beuglant des mots pour avancer encore, charruant peines et joies dans le même sillon.

La plupart signent d'une croix et j'en suis fière. Peu m'importe les branches qui semblent s'élever vers des couronnes ou autres gloires illustres. Je préfèrerais voir pointer un marin venu d'une contrée lointaine apportant avec lui le sel de ses aventures, ses yeux bleus ou son teint mat.


Tous, ils m'ont construit, m'ont enrichi. Ils n'étaient pas naïfs et cons comme le ressent la Denise/Annie Ernaux de ce roman. Ils savaient la terre et le ciel, ils savaient lire le monde à leur portée ; leur alphabet était les nuages, la pluie, le vent, l'intuition.

Ils étaient pour certains des acteurs de leur époque au moment de la révolution. Sans eux, sans leurs connaissances, leurs mains rudes et sales, leurs mots terreux, leurs mots qui sortaient des entrailles, qui collaient à leurs peaux salées, leurs dos courbés de labeur, leur sang dans les batailles, les rois et les belles dames de la cour seraient tous crevés à force de danser le ventre vide, de se traîner au théâtre sans plus de souffle pour rire des bons mots pesés avec une petite cuillère d'argent.


Si cette fiction ne calquait pas autant aux romans autobiographiques d'Annie Ernaux écrits par la suite, j'aurais pu me détacher de la violence, de la haine, de l'ingratitude de Denise. J'aurais pu me dire que Denise avec la maturité changerait son regard sur ses parents aimants, bien qu'incultes et vulgaires. Des parents maladroits, des parents qui ont peur. Comme tous les parents, quelles que soient leurs conditions sociales.

J'aurais pu apprécier ce roman malgré le déluge, l'avalanche de coups qui n'en finissent pas à longueur de pages de s'abattre sur les siens. À force, on n'entend plus rien, ça déborde, c'est écoeurant, ça colle à la marmite.

Je comprends son message, je comprends l'envie de s'élever, de voir plus loin que le bord d'une rue sans issue, d'un toit sans ciel, d'un bout de champ barbelé. Je comprends qu'en grandissant l'enfant craquèle le vernis dont il avait recouvert ses parents. La difficulté de trouver sa place entre deux univers. Je comprends le poids de la réussite qui pèse sur les épaules, l'attente insupportable des parents dont le sacrifice est grand. La difficulté de communiquer lorsque l'écart se creuse.

L'éducation est une arme indispensable pour voguer mieux et plus loin.
Mais, si on oublie d'où on vient, si on écrase ses racines, si on se renie, on crève de n'être plus personne. On bouche l'horizon. On se salit, on s'aveugle.


En haut de l'ascenseur, les gens sont-ils plus propres ?

Bah nan ! On le voit, on le comprend tous les jours, pas besoin de lunettes ni de dictionnaire.

Chaque barreau, chaque échelon de la société possède ses valeurs, ses richesses. Ils forment la même échelle. du haut de l'échelle, on ne voit pas mieux les étoiles qu'au ras du sol.


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