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Critique de Henri-l-oiseleur


"Où est le sage ? Où est le docteur de la loi ? Où est le raisonneur de ce siècle ? Dieu n'a-t-il pas rendue folle la sagesse du monde ? En effet, puisque le monde, par le moyen de la sagesse, n'a pas reconnu Dieu dans la sagesse de Dieu, c'est par la folie de la prédication que Dieu a jugé bon de sauver ceux qui croient." (1 Corinthiens, 1-20).

Quatre siècles avant la rédaction de ces lignes par Saint Paul, Euripide raconte dans les Bacchantes l'avènement du dieu Dionysos dans la ville natale de Sémélé, sa mère humaine, à Thèbes. Dionysos venu d'Asie vient se faire reconnaître de ses compatriotes, et comme il est le dieu de la folie, de l'ivresse, des apparences et des tromperies, il rend fous ceux qui s'opposent à lui : d'abord les femmes thébaines, devenues bacchantes et errant, en proie au délire, dans les montagnes environnantes ; puis Penthée, le souverain, qui lui fait physiquement obstacle, l'emprisonne, sans comprendre qu'un mortel comme lui ne peut l'emporter sur un dieu. Penthée paiera au prix fort sa lutte contre Dionysos, qu'il voit à juste titre comme un danger pour l'ordre politique et social qu'il veut défendre. Cette pièce montre en somme qu'il est fou de s'opposer à la folie, qu'il est finalement plus sage de se laisser aller à être fou, car les conséquences de la sagesse selon les hommes sont pires que celles de la folie.

Euripide consacre donc une pièce à l'avènement d'un dieu nouveau dans une cité grecque, au lieu de mettre en scène, comme nous en avons l'habitude, des héros de la fable et de l'épopée. Dionysos n'est pas n'importe quel dieu : il est celui qui brouille les limites, qui confond les certitudes, qui introduit le doute, le désordre et l'imprévu dans le cosmos. Il est, faut-il le rappeler, le dieu du théâtre, où le public vient voir un spectacle (théama), une vision (théa) où ce qui est représenté n'est pas ce qui est, mais ce qu'on fait semblant de croire par la vertu du verbe et de la mise en scène (et de la musique). Il faut donc prolonger la lecture des Bacchantes, si on en a le temps et l'envie, par des analyses approfondies, dont l'avant-goût déjà prononcé se trouve dans la préface remarquable rédigée par Jackie Pigeaud (pour cette édition de poche des Belles-Lettres). Pour aller plus loin, on lira les études que le jeune Nietzsche, alors professeur à Bâle, consacra à la mort de la tragédie dionysiaque, dont le responsable à ses yeux est Socrate et le fossoyeur, Euripide ("La vision dionysiaque du monde et autres écrits sur la tragédie", GF, 2023).
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