Citations sur L'histoire de Poncia (15)
De cette attention à la vie qu’elles nous ont apprise m’est resté l’habitude de chercher l’âme, l’intime des choses. De recueillir les restes, les morceaux, les vestiges, car je crois que l’écriture – tout du moins pour moi -- est le désir prétentieux de coucher le vécu. D’éterniser l’éphémère.
L’homme restait muet, les mots coincés dans la gorge. Aucun de ses gestes n’était porteur de sens. Poncia, elle, vivait l’angoissante et désespérante envie de la rencontre. Un mélange de colère et de déception s’emparait d’elle quand elle se rendait compte qu’ils n’allaient jamais au-delà du corps, qu’ils ne se touchaient jamais au-delà de la peau.
Il disait que les femmes étaient des étoiles. Leur beauté illuminait la nuit que les hommes enfouissaient dans leur cœur. Elles habitaient sur d’autres terres, avaient d’autres façons d’être, d’autres rêves.
La nuit mûrit et devint aurore.
Il réalisait que sa vie, grain de sable au fond de la rivière, ne prendrait corps et ne grandirait qu’en devenant matière, mortier d’autres vies.
Poncia avait grandi dans la pauvreté. Ses parents, ses grand-parents, ses arrière-grand-parents avaient toujours travaillé la terre des maîtres. La canne à sucre, le café, les récoltes, le bétail, les terres, tout avait un propriétaire -le Blanc. Aux Noirs restaient la misère, la faim, la souffrance, la révolte suicidaire.
Plus jeune, elle avait même rêvé de porter un autre nom. Elle n’aimait pas le sien… Son nom ne résonnait pas en elle. Elle en inventait d’autres… La petite fille, sans nom, tremblait de peur, craignait ce jeu mais insistait. Sa tête tournait dans le vide et elle, néante, se sentait sans nom. Elle se sentait personne, elle avait envie de pleurer-rire.
Quand Ty-maître eut la certitude que le Noir pouvait apprendre, il cessa le jeu. Le Noir apprenait ! Mais que ferait le Noir du savoir du Blanc ! En matière de lecture, le père de Poncia n’alla jamais plus loin.
Brusquement, sur un coup de tête, Ponciá Vicêncio avait décidé de quitter le village où elle était née. Elle était lasse de cette vie. Lasse de travailler la terre glaise avec sa mère, d'aller et venir sur les terres du Blanc, de revenir les mains vides. Laisse de voir la majeure partie de la récolte des Noirs, cultivée par les femmes et les enfants sur leurs terres pendant que leurs hommes s’échinaient sur celles du maître, remise au coronels. Lasse enfin de cette lutte folle et sans gloire à laquelle ils se livraient, pour se lever chaque jour plus pauvres tandis que d'autres s'enrichissaient en permanence. (p.37)
Manquant des choses essentielles au quotidien, les excédents des uns - presque toujours construits sur la misère des autres - revenaient humblement entre nos mains. Les restes.