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Citations sur Histoires d'espaces (8)

Un passage ! Le mot revient toujours, sans qu’on sache exactement d’où il vient, écho déjà lointain de la lecture de Benjamin ou résonance encore plus lointaine des promenades enfantines dans le dédale des passages parisiens. Peut-être n’est-il que le résumé d’une existence entièrement prédéterminée par les « images de pensée » d’un philosophe et d’un poète imaginaire, d’un Janus au double visage de Baudelaire et de Breton qui aurait nommé La Passante en l’appelant Nadia – des images qui auraient autorisé définitivement l’écart, le refus d’adhérer aux choses, pour seulement les entrevoir en espérant ainsi mieux les voir, et sans doute aussi pour se perdre dans une façon d’inconnu, d’indifférencié même, afin d’avoir la chance que quelque chose se profile soudain peu à peu hors de la masse accablante des édifices de l’immensité insaisissable des territoires ? Mais ce pourrait être la mort aussi qui enverrait son message depuis l’autre lointain, avec un seul mot, un mot-clé comme le mot « étendue » le fut apparemment pour Henri Michaux qui l’écrivit si souvent quand il sut que la fin était proche. Passage ! Tout ce qui fut regardé se résume-t-il bien là de manière réellement singulière ? N’est-ce pas tout autant l’expérience commune de l’architecture et du paysage, une affaire de seuils, de traversées de la lumière et des êtres, et le but constant du travail de l’architecte, malgré les affichages de la grandiloquence et les gestes de l’incongruité qui semblent aujourd’hui réduire ce travail au dépôt d’objets signés, au design à toutes les tailles, y compris les plus hautes comme en témoignent les projets en série de Franck Gehry ou de Daniel Libeskind, répétant la courbe ou l’oblique ainsi qu’un Buren distribuant des rayures ?

(pp. 35-35)
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Une histoire dans l’Histoire, de portions de la ville et des champs pour accueillir la vie ensemble ou la solitude. Ça commence un jour en cherchant à transmettre – on ne sait trop quoi, malgré la situation banale de l’enseignement et le cadre obligé d’une « matière », d’un sujet : l’espace, une chose si abstraite, presque impalpable, et pourtant si réelle, chargée d’expérience émotionnelle, catégorie a priori de la connaissance, bien sûr, mais avant tout mémoire sensorielle inscrite dans le corps et l’esprit par le souvenir de dilatations de la conscience, celle qu’on éprouve en arpentant certains lieux découverts aux détours des lectures autant que des voyages.
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Parfois une maison vous touche à la vitesse d’une conscience fugace. Quelques centimètres carrés dans le tableau panoramique du défilement autoroutier. Un petit volume dont on ne peut percevoir la complexité probable, mais qui appelle soudain, malgré l’attention flottante, une curiosité immédiate, et bientôt, alors que la silhouette lointaine a disparu, une intense rêverie, légère et nostalgique à la fois, regret d’un destin à l’écart des villes, proche de la vie dans les villages avant qu’elle n’y disparaisse, une vie rurale dont on a connu les derniers feux dans les années cinquante en en suivant les arpenteurs, un garde champêtre, un cantonnier, des chasseurs.

(p. 31)
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Les civilisations sont périssables et quelque chose adviendra dont on ne sait rien encore, mais qui gardera peut-être en mémoire les traces dispersées de nos manières, certains livres et certains édifices, si usés d’avoir tant servi qu’on en connaîtra plus véritablement le sens et qui cependant provoqueront le trouble qu’on éprouve face aux témoins de la profondeur inconnue du passé.

[…]

Subtil passage du temps sur une forme pour qu’elle se déforme autant que se déforme le regard qu’on lui porte, si changeant, si éphémère, si peu sûr d’une quelconque fidélité aux choses, à ce qu’elles veulent nous dire et qu’on ne sait finalement qu’oublier. Et forte leçon sur la chance de cet oubli, sur les couches successives de l’oubli qui avait permis l’apparition d’un chef-d’œuvre de hasard, par une suite d’abandons, élagages de la pierre et des rituels, amenuisements de la mémoire pour qu’on puisse un jour recevoir le passé à nu, mystérieux d’avoir perdu les mots, les idées, les images qu’il avait fait naître, mais plus irradiant que jamais dans le silence de ce mystère. C’est le destin qu’on souhaite à ce qui restera de nos architectures, quand on ne saura plus grand-chose de ceux qui les avaient voulues comme de ceux qui les avaient imaginées, édifiées. Un pavillon de verre transparent, un bloc de béton noir, une tour de métal ajouré, une coque de titane scintillante…, des édifices dont on ne connaîtra plus l’usage, mais dont on percevra la présence comme jamais.

(pp. 66-67)
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Se poser la question de l’écriture pour avancer dans celle de l’espace ! Non seulement à cause des rencontres, mais parce qu’il s’agit de ça, fabriquer du destin avec des figures, écrire sur le monde avec des mots qui sont dessins, ou avec des dessins qui font des mots sur la terre, comme les idéogrammes et les caractères gravés sur les flancs de l’Himalaya – Om Mani Padme Hum – ou de manière impalpable, quand il arrive que la maison soit d’emblée une maison d’écriture, un choix d’être là avec la mémoire du lieu, celle d’avoir était l’abri d’un pêcheur devenu personnage de roman dans un livre de Pierre Loti, un balcon, une fois de plus, sur l’anse qui mène à Paimpol, sur le présent douceâtre mais aussi sur le temps d’une violence des départs vers les pêches lointaines et le risque d’en mourir. Le contraire de la maison de l’Estaque, un respect scrupuleux de l’héritage vernaculaire, avec les chambres encore intactes et la vie d’un exilé volontaire dans un paysage, un autre écrivain, taraudé par le besoin de construire la situation de l’écriture, la possibilité de l’écriture, la chance que l’écriture advienne, sans garantie sinon la certitude que ça passait par une « maison », devant une étendue marine, et par l’occasion permanente d’y naviguer pour apaiser les tensions de l’écriture. On a souvent connu cette maison, après avoir remonté la rue depuis la calanque des ostréiculteurs, pour y boire et parler entre la mer et une table de travail, en appréciant l’installation modeste et pourtant décisive pour assumer une vie entièrement vouée à être écrite, afin qu’elle soit offerte à la venue partagée d’un monde, du savoir qu’on en a eu, de la douleur de ce savoir et de ce qu’on peut tristement en dire. C’est ainsi, on aura mieux compris, avec des textes littéraires et des « hommes de lettres », de quoi il s'agissait pour y être, dans ce putain de monde, avec cette putain d’obligation d’être avec d’autres, sommé de trouver un emplacement pour gêner la vie et ne pas la gêner, conduit à laisser des traces pour assurer le passage de relais incertains, des formes sur le territoire, des géométries du souvenir laissées par soi sur le sol de l’existence, sur un morceau de terre, devant la mer ou une page blanche. Mais ça n’explique pas grand-chose.

(pp. 29-31)
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« Il faudra reconnaître un jour que ce qui manque le plus à nos villes ce sont des pensoirs, silencieux et spacieux, de vastes endroits avec de hautes et longues galeries pour le mauvais temps et le grand soleil, le bruit des voitures et les cris des marchands ne pénètrent pas et où le tact interdise même aux prêtres de prier à haute voix : des bâtiments et des promenades qui expriment par leur ensemble la sublimité de la méditation et de l’isolement. Le temps est passé où l’église possédait le monopole de cette méditation ou la vita contemplativa devait commencer par une vita religiosa […] C’est nous que doivent traduire et la pierre et la plante pour que nous puissions nous promener en nous-mêmes quand nous irons dans ses galeries et ses jardins ». Le rêve de Nietzsche ! Relu dans un livre de l’écrivain avec qui l’on partagera la découverte de Ryoan-ji et du Shisen-dó, à Kyoto, un édifice monastique et une demeure laïque, tous deux voués au retirement en soi-même pour y pressentir l’origine du monde ou de la poésie, d’authentiques pensoirs qui nous avaient ramené bien sûr aux instants passés autrefois dans nos abbayes solitaires, à Sénanque ou à Thoronet, mais qui depuis nous emmènent paradoxalement sur le fil des utopies fondatrices, des machineries cisterciennes, de l’occupation de l’espace et du temps jusqu’aux cités idéales, Cité du Soleil ou Citées radieuses, et surtout au seul rêve qui ait été capable d’accueillir celui de Nietzsche, le rêve d’un socialiste ou d’un communisme à l’écart de Staline et Mao, qu’on s’était remémoré un soir au pied du Karl Marx-Hof, bouleversé par le souvenir de la « Commune de Vienne » en cherchant les traces de balles sur la façade, et surtout émerveillé par la silhouette d’une architecture qui semblait encore clamer, dans la nuit de la ville et de ses espoirs assassinés, la possibilité d’une autre vie où le partage nous aurait libéré des quêtes inutiles de la survie pour offrir du temps à la pensée. La même réminiscence un autre soir, de façon plus inattendue, attendant le coucher du soleil sur le toit déserté de l’immeuble de Marseille en compagnie d’une amie architecte qui nous avait amené là pour nous faire oublier à quel point « Corbu » avait pu détester les villes, et se laissant gagner par le silence au-dessus de la rumeur du paysage, par la sérénité d’une haute et longue galerie que n’aurait pas dédaignée le philosophe.

(pp. 60-61)
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Pendant les années cinquante, Nicolas Bouvier pouvait s’étonner tout au long de ses voyages et en tirer le bréviaire de tout voyageur, L’Usage du monde, six cent cinquante ans après Le Devissement du monde de Marco Polo. Et vingt ans après, nos propres pérégrinations nous portaient encore aux joies de la différence, perdus dans les rues de Katmandou ou de Bombay, dérivant sur les eaux du lac de Shrinagar, les sens éveillés bien plus qu’endormis par L’Herbe du Diable et la petite fumée, l’odeur du bois de santal de maisons flottantes et le clapotis des rames d’un batelier complaisant. Mais c’était avant la déferlante des masses touristiques et la course au développement économique, avant la globalisation des affaires juteuses et l’industrialisation de tout, du voyage et des moments du voyage, de l’extension des villes et de la gestion des campagnes. Depuis, chaque déplacement a confirmé la tendance à l’uniformisation de l’architecture, des territoires et de la vie qui s’y déroule.

(pp. 51-52)
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[…] la rupture d’échelle inquiète. Comment naviguer dans cette ville devenue incommensurable, vers des repères toujours plus lointains dans l’espace et dans l’esprit, collines de titane ou rocs de béton ? Comment ressentir encore et autrement l’aménité d’une promenade qui nous fait dériver des ruelles médiévales aux ouvertures baroques, de l’ombre douce à la clarté sereine, comme à Nîmes où l’on passe de l’une à l’autre sans presque s’en apercevoir selon certains itinéraires ou en s’inondant soudain de la lumière de la fraîcheur du canal et des frondaisons du Jardin de La Fontaine, marchant vers le repos sur des gradins au bord de l’eau à l’emplacement d’un ancien théâtre romain, au pied des ruines d’un temple ?

(pp. 47-48)
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