On ne donne jamais assez d'amour à son enfant.
Voilà ce que je suis devenue. Rien. Même pas un fantôme. Un fantôme, on finit toujours par le voir. Moi je ne suis rien, depuis une éternité, et cela m’indiffère.
Pas question de jeter la poupée, offerte par ma mère, dont elle avait arraché les yeux. Je l'avais sévèrement grondée, mais elle s'était expliquée avec candeur : « C'est pour qu'elle ne voie plus, comme la dame du premier étage. Ce n'est pas juste, je veux que ma poupée soit comme elle. » Un couple d'aveugles vivait au premier étage, à cette époque. Je lui avais pardonné, émue devant son intérêt candide pour le monde, et nous avions joué à être des aveugles.
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j'avais aussitôt compris que c'était terminé. il m'avait abandonnée et j'allais accoucher seule.
en quelques secondes, l'amour immense et inconditionnel que j'avais pour lui s'était mué en une haine profonde.
je ne l'ai plus jamais attendu.
je l'ai effacé de ma vie.
Comme elle, j'aurais voulu avoir une de ces poupées mannequins si jolies quand j'étais petite. Mais mes parents étaient inflexibles. « Pas de ces merdes américaines », avait décrété mon père. Je n'avais jamais joué avec des Barbie, enfant, et je me suis bien rattrapée avec mon Hortense.
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Comme elle, j'aurais voulu avoir une de ces poupées mannequins si jolies quand j'étais petite. Mais mes parents étaient inflexibles. « Pas de ces merdes américaines », avait décrété mon père. Je n'avais jamais joué avec des Barbie, enfant, et je me suis bien rattrapée avec mon Hortense.
Je flotte dans une douce euphorie. Béate, et un brin pompette. "Pompette", un joli mot, c'est bien comme cela qu'on dit, lorsqu'on ne s'appartient plus tout à fait, sous l'effet de la boisson ?
J'ai à peine plus de cinquante ans et mon corps est déjà si vieux.
Mais j'ai toujours été laide. Quand il disait que j'étais belle, je le traitais gentiment de menteur. Il me prenait par la main et m'entraînait vers la chambre.
Lorsque j'arrive sur la place du Tertre, le soleil, magnifique, se lève sur Paris. J'ai tout à coup le sentiment qu'il n'y a pas de plus beau spectacle au monde.
Assise sur les marches, je reprends vie dans la chaleur du jour naissant, contemple le spectacle de ma ville qui s'éveille. Il m'emporte.
Avant Hortense, ce fut le désert. Après, le néant.