Si seulement nous savions de quoi nous avons peur, nous ferions un grand pas vers le courage.
Je voyais dans le rétroviseur les paupières qui s’affaissaient inexorablement en même temps que la digestion avançait. Nous étions maintenant sur la grande ligne droite et la voiture prenait de la vitesse.
— Tonton, on devrait s’arrêter un moment, attendre…, marcher…, prendre l’air, dis-je sans espoir, alors qu’il me revenait soudain que dans quelques centaines de mètres, là-bas, en face de la grange en ruine, il y avait un terrible dos d’âne qu’il fallait passer au ralenti.
Les yeux de l’oncle étaient définitivement dans le vague et la 2 CV avait pris le mors aux dents. La voiture s’éleva dans les airs et retomba violemment sur la route. C’est alors que se produisit une chose incroyable : tous les élastiques du fauteuil avant rompirent en même temps. Je vis mon oncle écarquiller les yeux d’effroi, s’élever, puis s’affaisser d’un coup sur le plancher de la Citroën. Il tenait désespérément le volant, les bras tendus au-dessus de sa tête, mais ne voyait plus que les pédales et les poissons qui s’agitaient maintenant autour de lui. Il freina. Nous sortîmes de la voiture et restâmes un moment sans réaction et muets, puis, constatant que nous n’avions ni l’un ni l’autre aucun mal, nous nous mîmes à évaluer le désastre.