« Mais, ne le sais-tu pas ? L’homme est devenu un Ogre pour les siens ! » (p. 79)
« Je comprenais la violence de ses paroles, partagées, sans doute, par toute une jeunesse dont on avait si détestablement compromis les avenirs, les joies, les désirs de vivre. » et « A quoi peuvent bien servir ce ciel, ce soleil, à présent ? ».
Quelle vie ! Oui, j'ai quitté ce monde après deux emprisonnements, une mise en résidence surveillée, un retrait de passeport, une interdiction de travailler, et, pour clore le tout, une mise en clinique prolongée, d'où je voyais des incendies, de grands incendies qui déferlaient sur le pays que j'avais connu, où j'étais né, au début de l'autre siècle, ce siècle où j'avais vécu orphelin ; j'ai même été en prison, une foi en France, l'autre fois en Algérie, à deux époques différentes.
Ce tremblement de terre et ce raz-de-marée dont les gens parlent encore aujourd'hui à cause des décombres de tout un monde qui y a été, en même temps, jeté, enseveli.
A l'ASP, où je travaille, -aide sociale et psychologique- il nous est difficile de lutter contre les suicides, les désespoirs, désolations qui déchirent femmes et hommes, jeunes filles, jeunes gens, agrippés aux murs d'immeubles anciens, déglingués ou en suspens au-dessus d'abîmes marins dont on entend gronder les colères, sourdre les rages et les faims.
et le ton était tel, les paroles si "vraies" pour ceux qui les prononçaient, si démentes pour elle qui les percevaient.
« Ce peuple d’Algérie serait devenu le figurant-témoin d’une histoire qui ne serait plus la sienne. Il vivrait une déformation. » (p. 51)
Face à la mer, dans les danses que faisaient les murmures d'eau sous les rochers, je voyais passer des visages, des bouches aux lèvres mouvantes ; ombres qui parlaient vite, comme si elles psalmodiaient, priaient et maudissaient en même temps ; ombres aux cris étouffés qui laissaient entendre une voix, distincte pour moi, celle de Selma, courant dans la ville ; elle qui ne voudrait plus avoir d'enfant qui naîtrait ici
Il n'y a pas si longtemps, avant que l’œil de l'Ogre ne tombe sur notre terre, existait une langue qui ne tuait pas et vivait comme cette jeune femme, chaque jour, en plus de la nourriture comestible, de paroles, d'écriture, de sons, dans cette école qui avait été construite en un temps où la guerre avait fui, un très court temps, loin de la ville, cette ville où elle avait vécu, la ville des roses, la ville des orangers, la ville au Bois Sacré, la ville au bas de la montagne douce, du nom de Chréa, la ville où étaient passés des poètes, des femmes écrivains, des peintres, tant d'autres qui, sur la route des lumières, des astres, des terres, des mers, des déserts, avaient traversé ou vécu dans la belle ville de Blida
J'aurais bien aimé savoir, moi aussi, où vont les vivants ?