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Citations sur Haute solitude (30)

Je n'ai pas, Moi, de ces réveils d'escrimeurs, de cuistres ou de goélands de lavabos qui sont toujours prêts à pourfendre l'existence mondaine, ou sportive, ou industrielle, avec des stylographes à idées, des balais mécaniques et des cerveaux de la rue de la Paix. Ma vie est une bonne et brave vie à tant la minute, et qui la connaît dans les coins avec son portefeuille vierge et frais de poche revolver. Pas si bête.
Elle m'a eu, ce matin, comme une logeuse. Mais nous nous retrouverons ce soir, face à face, quand je la forcerai à s'user le long des rues tristes d'usines, devant les bistrots au derrière de singe, autourdes autobus à pellicules, au fond des squares tout vibrants de cancrelats. Quand les boucles d'oreilles des vieilles maisons leucorrhéiques scintilleront, quand les bouts de sein de la nuit darderont, dans les embouteillages d'hommes, des fausses nouvelles, des soupirs, quand je cheminerai enfin les os vaillants, éveillé comme un fantôme, au hasard des quartiers couleur de pintade et d'arrosoir, quand mon corps de dormeur occidental sera cuit pour la revanche, je l'aurai à mon tour, la Vie!
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Plaidoyer pour le désordre

….Attention, pourtant. Le désordre n'est pas le contraire de l'ordre. De même que l'ordre n'est pas un arrangement, le désordre n'est pas un dérangement. Le désordre, ce n'est ni la tempête, ni la vibration des vitres secouées par les roues des véhicules, ni la tête à l'envers, ni la charrue avant les bœufs. C'est la vie même. L'ordre suppose l'apparence des disciplines, des immobilités, des tombes, des lois, des structures, et ne donne naissance qu'à des iconoclastes. Car la fatalité de l'ordre, c'est l'invitation à la débandade, à l'injure, aux fêlures et au dégel. L'ordre, c'est le Dieu statique. Tandis que le désordre, tel que le comprennent les âmes véritables, c'est l'homme en mouvement.L'ordre ne permet rien. Il termine la course des impressions et des courants comme un butoir. C'est la gare où l'on arrive. En revanche le désordre, c'est la gare d'où l'on part. L'ordre s'appelle terminus et le désordre se nomme évasion. L'ordre, c'est la table de multiplication. Le désordre, c'est Victor Hugo. La guerre est du domaine de l'ordre, car elle tend à une fin, à des limitations, elle suppose des hiérarchies, des organismes, des groupements. Mais un beau jour d'été, au bord de la Marne, les coudes dans l'herbe juteuse, les yeux noyés dans la flottille des insectes d'eau douce, la nuque grillée, le cœur inondé de rythmes, c'est un jour de désordre….
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L’érythème du Diable

….Et le Diable passe partout, se glisse dans les plus simples entreprises. Nous ne voulions plus croire en lui ? Nous l'avions chassé de nos soupentes, de la littérature, des arts, nous avions pulvérisé ses toiles d'araignée au fly-tox, nous avions pompé le démon dans les flaques de l'amour et vidé les philtres ? Bon. Et voilà que le Diable se venge en nous murmurant que vendredi ne sera pas comme jeudi. Il nous laisse entendre que nous pouvons changer notre destinée si nous nous donnons un peu de mal, que les impuissants pourront demain faire des cartons, que la gloire, l'ardeur, la santé, valent à peine un morceau de pain. Le Diable s’est fait inquiétude et profite de notre lâcheté. Il joue sur notre lâcheté. Il spécule sur notre faiblesse. Il nous contourne et nous enchaîne, il nous éclabousse d'élixirs aveuglants….
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Accoudé

… Oui, mon âme, tout cela que tu vois, c'est la vie, tout ce que tu examines en soupirant, c'est la vie. Restons, nous deux, cent ans et plus, restons les bras sur la balustrade, le corps appuyé au bastingage, la prudence bien affûtée, restons et résignons-nous. Ne descendons pas dans cette mélopée, ne nous confondons pas à ce bruit d'âmes fausses, de cœurs mangés aux vers, d'esprits vénéneux. Oui, restons ensemble, toi au milieu de moi et moi autour de toi, toi souffrant et moi luttant. Fermons parfois les yeux, essayons de mettre entre la rue et nous, entre les autres et nous, des océans de lyrisme muet, des remparts bourrelés de coton hydrophile. Revenons à pas lents vers les souvenirs de l'école buissonnière, chuchotons tous deux à pas de loup des images glanées dans la lente adolescence. Mon âme, on nous a roulés dans la poussière des faux serments, on nous a promis non pas seulement des récompenses auxquelles nous ne tenions pas, mais des gentillesses, des « myosotis d'amour ».On nous a laissé croire qu'on souriait, qu'on nous aimait, que les mains que se glissaient dans nos mains étaient propres et sans épines. O glissade des déceptions et des tortures ! Il n'y eut jamais pour nous ni justes effusions, ni paumes sincères. On voulut même nous séparer, et te briser au fond de moi, mon âme, comme un élixir dans une coquille.
J'ai vu mentir les bouches que j'aimais ; j'ai vu se fermer, pareils à des ponts-levis, les cœurs où logeait ma confiance ; j'ai surpris des mains dans mes poches, des regards dans ma vie intérieure ; j'ai perçu des chuchotements sur des lèvres qui ne m'avaient habitué qu'aux cris de l'affection. On a formé les faisceaux derrière mon dos, on m'a déclaré la guerre, on m'a volé jusqu'à des sourires, des poignées de mains, des promesses. Rien, on ne nous a rien laissé, mon âme. Nous n'avons plus que la rue sous les yeux et le cimetière sous les pieds. Nous savons qu'on plaisante notre hymen désespéré. Nous entendons qu'on arrive avec des faux de sang et de fiel pour nous couper sous les pieds la dernière herbe afin de nous mieux montrerle sentier de la fosse.
Mais nous serons forts, mon âme. Je serai le boulon et toi l'écrou, et nous pourrons, mille et mille ans encore, nous approcher des vagues ; nous pourrons nous accouder à cette fenêtre de détresse.Et puis, dans le murmure de notre attente, un soir pathétique, quelque créature viendra. Nous la reconnaîtrons à sa pureté clandestine, nous la devinerons à sa fraîcheur de paroles. Elle viendra fermer nos yeux, croiser nos bras sur notre poitrine. Elle dira que notre amour, tout cet amour qu'on n'a pas vu, tout cet amour qu'on a piétiné, qu'on a meurtri, oui, que notre amour n'est plus que notre éternité.Alors, mon âme, tandis que je serai allongé etdéjà bruissant, tu iras t'accouder à la fenêtre, tu mettras tes beaux habits de sentinelle, et tu crieras, tu crieras de toutes tes forces !

On entendra.
Qui est cet On ?
Qui ? demandes-tu ?
Mais toutes les âmes le savent.
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Horoscope

…. Mon signe est celui des holacanthes, zèbres de mer, hénioques, ptéroïs en barbelé, cerniers squameux, barbiers à ventouses, qui ont le mufle si bleu qu'il paraît rasé de près. Je vis en compagnie d'hommes de mer, d'écrivains pour jazz, d'astronomes, de magnétiseurs, de physiologistes, de marchands de tabac et d'hôteliers. Ce sont mes frères secrets, que hante le même grouillement d'étoiles maternelles. Tous ces compagnons de mon instant vivent de la même vie, boivent de la même bière, aiment la même femme, meurent de la même mort.
J'ai un chiffre, un jour, une pierre, un climat, des plats préférés, des poires pour la soif, des allées et venues de prédilection et des vices que je ne confonds pas. Je sais que je devrais choisir mes amis dans le cancer ou chez le scorpion, mes maîtresses chez la vierge, le taureau ou le capricorne. Je me doute un peu que tout était prévu, depuis l'allumeur de réverbères qui chaque soir m'éclaboussait de vieille paille quand je revenais du
lycée, jusqu'aux trains qui arrivent en retard, et aux huissiers qui m'attendent comme des sentinelles au tournant des semaines et des années. Tous les censeurs, contrôleurs d'autobus, chauffeurs de taxi
soudain en panne, concierges bibliophiles, sont mes compagnons de route ; comme les averses inattendues, les rues que l'on ne trouve pas, les peaux de bananes, et les étreintes brusques, longtemps désirées, mais sur lesquelles on ne comptait plus, sont des cadeaux.
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Et puis, le sommeil descendant sur nous comme le rideau de fer d'une boutique qui ferme, je rentre rue Scheffer, sans faire le moindre bruit, dans le jardin qui se glace de bleu comme l'aile du grand Sylvain, je monte sans rien émouvoir, et, sur trois déclics, chauffé par la tête qui ne veut plus dormir, je m'installe lentement pendant que le jour s'entrouvre au rossignol qui se gargarise avec le moût pâle du ciel. Et je note absurdement pour couvrir de cendre ce cœur qui peine, cette main inquiète, le métier d'insecte d'une journée.
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Mais dans ce monde de rhododendrons à cinq pattes, d'oiseaux lourds ornés de fils télégraphiques et surmontés de palettes d'yeux, dans le sillage des pachydermes fumants qui se déplaçaient lentement comme des églises, le long des forêts d'iode et de chasse-neige où les squelettes pendaient comme des fruits, parmi les araignées géantes, bossuées de cornes, pesantes de mamelles, dans le calme de la première rosée blonde, des premières vapeurs, des premiers typhons, peureux comme une gazelle, maladroit, inoffensif et lâche, un Monstre bizarre se manifestait parfois, une sorte de machine plutôt qu’un animal, presqu’une construction, quelque chose de singulièrement développé et de singulièrement stupide, un mélange solennel de bête fine et d’oiseau podagre, une plante réussie, parfaitement vulnérable et parfaitement désirable, un ennemi de tout, pousseur de cris, chercheur de querelles, incapable de vitesse, de précision, de patience, de flair, ignorant des vents, mourant jeune, forme enrhumée, bigle, industrieuse et mélancolique: l’Homme.
Et puis, le ciel devint plus doux. Les pâturages bleuirent. Le mastodonte apparut lentement le long des mamelons, comme un immense vaisseau de cuir, secouant dans le soleil ses oreilles toutes sonores de parasites. Des potassons, des dépotames et des dilépothèses sortirent des fleuves en ouvrant des mâchoires d'orgue. L'hipparion bondit sur un pré, boulu comme un cheval antique, et les singes commencèrent à se dévider le long des arbres. Rendu rêveur par les panthères, par le zébu triste comme un vieux ministre oublié, par les arbres à goupules, par les pictoles juteuses, l’homme entrevoyait parfois le chien, le chat, le pissenlit, le ver à soie, le machaon, le carabe et le pigeon voyageur.
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Maintenant, dans ces semailles de la ville, dans ce gâteau de miel où les maisons rentrent leur ventre, ces maisons qui louchent par leurs yeux d'hommes, maintenant, je ploie à droite, à gauche. J'ai commencé jeune cette vie de pierre foulée, cet interminable monologue le long des chemins de halage. J'ai enfilé ces boulevards, j'ai frôlé en série ces portes ouvertes. Souvent, des filles glacées, aux bouches béates comme des fruits, apparaissaient sur les seuils en sautillant, pareilles aux coucous des pendules. Filles blêmes et roses comme les dragées de plâtre des baptêmes de pauvres. Elles avaient l'air crachées par la cave et déposées là, comme des chrysalides chlorotiques, inventées pour remuer jusqu'à l'épais l'âme des passants, des solitaires et des ivrognes. Alors, déjà, je cherchais ce que je n'ai pas trouvé. Cette découverte doit-elle se faire dans l'espace, ou dans le temps ? Quand tombera de l'Inconnu l'avertissement ? Quelle porte s'ouvrira dans le flanc d'une mêlée de maisons ? Quelle voix appellera soudain ? Oui, quelle voix, pour que je me retourne...
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Si la poésie est, tout compte fait, une vie de secours, une vie de rechange, une vie au second degré, l’art de se charmer pendant les crises, l’art de se mêler âme et corps aux phénomènes, aux emportements, aux dieux, de faire bloc avec les ravages, de se baigner dans son propre sang ; si elle est aussi un art suprême de se confier à ses semblables par le déchirant canal des larmes et des cris ; si elle est enfin l’art de rendre sensibles les énigmes de la douleur et de remords dont la vie peuple nos jours monotones, écrivons que Thérèse Aubray est, au nombre de celles et de ceux qui savent le manier, une des plus habiles et des plus inspirées.
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Haute solitude (extraits)

Me voici planté devant cette nature morte : l’armoire à glace, le lit, la tenture couleur d’oiseau triste, les larmes d’un jour cholémique et pluvieux sur les vitres. Un petit bruit de ville bout au ras de l’immeuble. Des caresses de vent, courtes et pressées, filent, pareilles à des mèches de feux follets. La nuit est d’un noir de route d’usine. Au loin, sur la toile cirée d’une rue déserte, l’ombre des arbres s’allonge pour dormir.
Hier, je n’étais pas si loin... Il me semblait apercevoir des côtes encore, un horizon de têtes d’hommes, entendre des glissements de voitures qui frottaient ma route vers l’obscur. Aujourd’hui déjà, l’écorce du souterrain s’est rapprochée, les fantômes de grand fond rampent à flocons sournois sur les mystères familiers, l’encoignure, le chambranle, le renfoncement, le couloir. De brusques remous me donnent à penser que toute la machine démarre dans une autre existence, qu’il y aura pour moi de nouveaux frères, de nouvelles anciennes maîtresses de nouveaux amis au bout de la course. Je cours aux fenêtres de l’exil mouvant. Mais les lointains se mangent. Je me porte comme une dépouille jusqu’aux hublots presbytes et percés dans l’éternité pure….
Je n’ai plus de terre sous mes pieds. L’un après l’autre, ceux qui disaient mon nom sous les lampes, ceux qui m’ouvraient des portes, ceux qui me souriaient aux terrasses, ont plongé. Je n’ai plus de place nulle part. Et la vie me pousse, me donne de l’épaule, comme si j’avais quelque chance encore de voir une longue poignée de main se dresser comme un barrage...
La vie ne me laisse pas m’arrêter. Elle ne me permet pas de construire des paliers dans ma solitude. Il faut que je descende. Mon destin m’encercle, me cerne déjà, me jette dans la direction qu’il veut, et que j’essaierai de comprendre jusqu’à la fin. Toutes ces fenêtres, et tous les jours l’approche de la nuit... Tous les jours... Chaque jour bat les mêmes cartes, finit par en perdre, en ajoute de nouvelles, qui ressemblent aux autres. Ces descentes et ces remontées, du jour à la nuit, comme de wagonnets dans une carrière, me vident d’un sable nécessaire...
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