Citations sur Les Mangeurs d'argile (33)
Jesse réalisa qu'il ne supportait plus la vue du cercueil, des couronnes et des gerbes de leurs trop criardes pour la solide boîte en pin, un choix que son père n'aurait clairement jamais approuvée. Pas plus qu'il ne pouvait regarder son oncle qui citait la Bible en parcourant l'assemblée de ses yeux perçants. Jesse trouvait l'éloge étrange, il trouvait curieux d'entendre son oncle résumer une existence en quelques minutes, dépeindre un tableau idyllique alors même que son père lui avait appris que la vie était pleine de hauts et de bas, de moments de soleil et de moments de pluie.
Mais j’ai réalisé que, où que tu ailles dans le monde, les gens ne sont pas si différents : ils veulent juste la paix.
Autrefois ma vie avait du sens ,et puis je me suis retrouvé consumé par la culpabilité et la honte.Puis par la malveillance.
J'ai échoué à bien des égards.J'ai échoué à être un être humain.Ou bien j'ai oublié comment faire.
Je crois pas au lavage. Les pick-up, c'est fait pour être sales.
C'était une douce matinée d'octobre et il suivait un ravin de craie vers les plaines alluviales. Pelham avait aperçu une queue blanche, puis il avait entendu un cerf détaler à travers les fourrés, effrayé par sa présence. Il avait traversé un lit de rivière boueux, était arrivé au bout du ravin et s'était arrêté, le souffle coupé devant le mâle adulte sous le chêne qui lui jetait un regard interrogateur, comme si Pelham était le premier humain qu'il voyait de sa vie. À ses yeux inexercés, les bois du cerf semblaient contenir une myriade de pointes, une masse d'os triomphants sur sa tête. L'animal l'avait toisé un moment avant de disparaître.
Il était au niveau du gué lorsque Billy l’interpella. – Hé, Jesse, j’ai failli oublier. Le premier soir où je suis tombé sur ton terrain, je campais dans une ravine et j’ai entendu quelqu’un débarquer avec la discrétion d’un buffle. J’ai remonté la crête et j’ai vu un homme trafiquer un mirador de chasse à un ou deux kilomètres à l’est d’ici. Ca aurait pu être ton papa ? – Non. – Je me demande s’il est au courant ? Le visage de Jesse s’assombrit. – Je crois pas, non. – J’ai pas eu le temps de bien le voir. Me suis dit que j’allais t’en parler. Le gars préparait peut-être un sale coup.
Grace était étendue par terre, incapable de se relever. On l’avait tabassée, et elle avait un hématome de la couleur d’un raisin sur la joue. Elle regardait Caroll qui se balançait au bout d’une branche du chêne, les bras en l’air, les poignets percés par les crochets métalliques d’une potence d’abattoir. Un maillet ensanglanté gisait au-dessous de lui.
Il leva son genou gauche et tendit la main vers le dernier barreau, qui céda brusquement, un craquement sonore résonnant comme un coup de fusil dans la forêt.
Pelham contempla le fragment de bois dans sa main avec un mélange d’incrédulité et d’effroi tandis qu’il sentait son corps partir en arrière.
Quand il réalisa ce qui se passait, il était trop tard. Il agita les bras pour se rattraper. Leva les yeux vers les cimes et vit le bleu des cieux, la lumière du soleil et un corbeau en vol qui poussait un croassement rauque. Puis un tourbillon stroboscopique de souvenirs, son père pointant l’horizon au milieu des champs, sa mère dans son fauteuil favori avec un livre sur les genoux, lui et Vandy pêchant depuis la berge…
… Jusqu’à Jesse, encore enfant, qui l’appelait en ramassant des cailloux dans le jardin, et les sanglots de Grâce quand l’infirmière mettait Abbie Lee dans ses bras.
Puis il vit la mère de Jesse qui lui hurlait des méchancetés, le regard brûlant de colère, et un flot de cauchemars refit surface avec une bourrasque cristalline de regrets et de chagrins qui s’engouffra dans sa tête avant que son corps ne touche le sol.
Des souvenirs épars lui revenaient, de lui et Grace, unis dans l’adversité depuis leur plus jeune âge, une dépendance mutuelle qui s’était muée en nécessité au moment où ils avaient réalisé que les gens les plus abjects, les plus monstrueux, étaient féconds et se multipliaient. Il lui répétait souvent que, s’il avait su dans quoi ils allaient naître, il ne les aurait pas laissé naître du tout.
Ils avaient connu la faim, le froid et les coups, mais ils avaient toujours pu compter l’un sur l’autre.
Papa me disait toujours que tous les problèmes du monde ont commencé parce que les hommes pouvaient pas laisser la terre tranquille. (p212)