Le garçon commença à se réveiller plus tôt et à se débrouiller seul. Laissant le Caddie derrière lui. Se redressant sur son lit de terre et tendant le cou avant de se lever. Étirant ses bras au-dessus de sa tête et cherchant autour de lui quelque chose à boire puis balayant la poussière et les feuilles mortes sur ses jambes et son torse.
La brutalité de l’indifférence et les années d’enfance qu’il avait gâchées à tenter de plaire à un homme à qui il n’était pas possible de plaire et les années de jeunesse qu’il avait gâchées à tenter de comprendre ce qu’il avait fait pour qu’il se passe la corde au cou. La main de sa mère tendue vers lui quand elle lui avait parlé de son frère. Comme si un geste aussi simple pouvait effacer une vie de questions et de culpabilité, et comment il avait laissé cette main posée là sur la table. Ouverte et vide.
Quand il voulait que les yeux du monde cessent de le regarder comme ils le faisaient. Il traversa le jardin et attrapa le verre sur la boîte aux lettres et le posa dans le Caddie, et il recommença à pousser ce dernier sur la route. Ils lui demandèrent de s’arrêter. Lui dirent t’es pas forcé de partir. Mais il continua et les ignora et ils restèrent plantés dans le jardin et attendirent que le fracas métallique s’estompe.
Elle avait envie de crier mais il n’y avait que le noir.
Je vais faire un feu et attendre. Je veux te dire des choses que je n’ai jamais dites à personne et ça pourrait te retenir de venir. Et dans ce cas je ne t’en voudrais pas. Mais j’aimerais que tu y réfléchisses. Je serai là-bas.
Je ne t’aime pas et je ne veux pas de toi avait-il entendu son père dire mille fois dans les regards noirs qu’il lui lançait quand il faisait une bêtise ou quand le garçon essayait de lui parler de quelque chose qui était arrivé à l’école ou quand il lui touchait l’épaule pour lui souhaiter bonne nuit. Je ne t’aime pas et je ne veux pas de toi, et il comprenait maintenant que sa mère avait avoué le chagrin qu’ils avaient tous les deux ravalé et digéré depuis qu’il était né, et il voyait le visage creusé de son père quand le silence régnait dans l’atelier et il entendait sa voix quand il lui avait dit de foutre le camp et il le voyait suspendu à la poutre de l’atelier. Il comprenait qu’il avait eu raison aux moments où il s’était demandé s’il lui avait fait quelque chose. S’il avait commis quelque péché impardonnable. Car c’est ce qu’il avait fait.
C’était un chien méchant, avec des yeux qui vous transperçaient. Comme s’il pensait déjà à ce qu’il vous ferait s’il en avait l’opportunité. Son museau était tout tendu, on aurait dit que sa fourrure avait tellement été tirée en arrière qu’elle risquait de se déchirer. Et elle était grise comme un nuage d’orage à l’exception d’une traînée blanche entre les yeux. Je ne lui ai jamais fait confiance et je l’avais signalé à ton père et il disait qu’il allait réparer la clôture. Tous les jours il le disait. Mais il ne l’a jamais fait.
L’obscurité s’installant sur le monde hors de lui et en lui.
À l’époque où sa mère était en bonne santé et heureuse. L’homme avait frappé à la porte et elle l’avait fait entrer dans la pièce à l’avant de la maison où elle prédisait l’avenir.
La femme et le garçon et lui étaient depuis si longtemps détachés et en errance qu’il en était venu à les considérer tous les trois comme une sorte d’espèce différente. Des créatures fabriquées par eux-mêmes. Ce n’était pas beaucoup mieux que l’existence d’un chien, mais ça avait commencé à devenir autre chose pendant les nuits étoilées au cours desquelles il longeait la route en direction de leur campement.