« De temps à autre émerge un auteur amoureux de son art, du langage écrit et des grands mystères qui résident de l'autre côté du monde physique. Il y avait
William Faulkner,
Cormac Mc Carthy ou
Annie Proulx. Vous pouvez maintenant ajouter
Michael Farris Smith à la liste. »
James Lee Burke
Cet éloge de l'auteur, mis en exergue sur le verso de la page couverture de «
Nick », fait entrer
Michael Farris Smith dans le cercle très fermé des grands auteurs américains contemporains, capables de transformer le plomb en or, c'est dire le divertissement littéraire en Littérature, ce pont qui relie notre monde sensible aux mystères des idées platoniciennes.
Avant même d'avoir lu son dernier opus, «
Nick », j'avais été ébloui par la virtuosité noire que maniait l'auteur dans «
Nulle part sur la terre » et le « Pays des oubliés ». Malgré la légère déception ressentie à la lecture de «
Blackwood », qui franchissait, à mon sens, la frontière ténue qui sépare la noirceur d'une forme de complaisance malsaine pour la cruauté, je ne peux que souscrire aux louanges adressées par
James Lee Burke, l'un de mes auteurs préférés.
La quatrième de couverture enjôleuse nous présente le dernier roman de
Michael Farris Smith comme une sorte de préquelle de «
Gatsby le Magnifique », narrant les aventures picaresques de
Nick Carraway avant sa rencontre avec l'entourage de Daisy Buchanan et Jay Gatsby. Amoureux de
Francis Scott Fitzgerald, passe ton chemin ! L'ouvrage n'a absolument rien à voir avec la munificence décadente de Gatsby et peut tout à fait se lire en dehors de toute référence au chef d'oeuvre fizgeraldien.
«
Nick » nous conte l'engagement de
Nick Carraway, qui souhaite échapper à la monotonie d'une vie de quincailler du Midwest, dans l'armée américaine prise au piège des tranchées du nord de la France, au cours de la première guerre mondiale. le début du roman revient sur la férocité inouïe et l'absurdité d'un conflit d'une violence inégalée. Sans en atteindre la noirceur absolue, les descriptions de scènes de combat rappellent «
Le chemin des âmes » de
Joseph Boyden, ce combat âpre et sans merci pour quelques lopins de terre, dans lequel se sont engagés des soldats venus du nouveau monde.
Au cours d'une permission à Paris,
Nick fait la connaissance d'Ella, jeune femme aussi excentrique que séduisante, qui habite au-dessus d'un théâtre et vend des cadres qu'elle a confectionnés. Pendant toute une semaine, les deux amants sont emportés par un tourbillon amoureux, dans un Paris qui scintille de mille feux, de Montmartre aux Tuileries, en passant par le parc Monceau. Las, la permission de
Nick s'achève et le soldat doit retourner affronter l'horreur indicible d'un conflit qui semble s'enliser.
Malgré sa témérité au combat,
Nick reviendra retrouver Ella à Paris, mais la magie de leur rencontre s'est définitivement envolée et c'est le coeur serré que le soldat américain repart à nouveau au front. le visage mutin d'Ella ne cessera d'hanter le narrateur tout au long de ce roman empreint de mélancolie.
Dans la seconde partie, notre héros est enfin de retour au pays, et tente de surmonter le traumatisme de sa plongée au coeur des ténèbres. Plutôt que de rentrer dans son Minnesota natal, l'ancien soldat se rend à la Nouvelle Orléans,
la ville de tous les vices, où l'alcool coule à flot, et où les filles de petite vertu sont légion. Il va y rencontrer un couple étrange, composé de Judah, un ancien soldat désormais invalide et crachant ses poumons quotidiennement et de Colette, son ex-femme devenue tenancière de bordel. Alors que les plaies de la première guerre ne sont pas encore refermées et que le gouvernement est sur le point de voter la prohibition,
Nick va noyer son chagrin dans les dédales interlopes de la nouvelle Babylone, au risque d'y perdre son âme.
Roman ample et parfois touché par la grâce, «
Nick » confirme l'entrée parmi les plus grands auteurs américains de
Michael Farris Smith. L'âpreté des combats dans les tranchées, la pureté des instants dérobés à la pesanteur vécus avec Ella, la corruption qui gangrène la Nouvelle Orléans, transforment le roman en une fresque ambitieuse, qui nous dépeint le délitement de l'Occident au début du siècle dernier. Et pourtant. Malgré la noirceur d'un conflit monstrueux, et la vénalité infinie de
la ville de tous les vices, «
Nick » est aussi et surtout une ode à la résilience nous rappelant qu'il est toujours possible de résister à la tentation du désespoir et que, même au coeur des ténèbres, luit la fragile lueur de l'espoir.