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Critique de BazaR


BazaR
29 novembre 2020
Un classique roman de transition, ce tome 2 de trilogie ? Oooh, que non ! Un classique tout court !

Raymond E. Feist et Janny Wurts innovent d'emblée dans cette suite. Mara, dame des Acoma est beaucoup moins sur la crête de la survie de sa famille. Elle a acquis richesse et une réputation certaine de brillante joueuse du Grand Jeu. de plus ses ennemis mortels, les Minwanabi, lèchent leurs blessures d'honneur. Mara a le temps de respirer, de développer son commerce… et d'acheter des esclaves.
C'est l'innovation majeure qui va porter ce récit. En décidant d'acheter des esclaves midkémians, prisonniers lors de la guerre de la Faille, Mara va faire du domaine des Acoma le théâtre d'une confrontation de culture. La culture japonisante extrêmement codifiée des tsuranis (le peuple de Mara) a du mal à réagir face à ces esclaves impertinents dont l'attitude rappelle l'impudence ironique de Steeve McQueen dans La Grande Evasion (irais-je jusqu'à évoquer Stalag-13 ? Quand même pas). D'un côté le fait que les ex-soldats midkémians n'aient pas décidé de laver leur honneur en se suicidant est incompréhensible ; de l'autre l'honneur exige au contraire à rester en vie et à tout tenter pour s'évader.

La confrontation s'incarne surtout dans la relation entre Mara et Kevin, le bel esclave midkémian rouquin (toutes les copines babélionautes qui ont lu ce livre en sont tombées amoureuses, peuh !). Mara confirme une attitude curieuse et progressiste, mais il y a des limites ; les heurts sont fréquents. Je me suis parfois surpris à ne pas croire possible le comportement plutôt libéral de Mara – relativement à la culture tsurani – mais il faut tenir compte du temps qui passe. En effet, en dépit de la taille du bouquin (pas loin de 900 pages en poche) les ellipses sont nombreuses. Les années passent sans que le lecteur le sente, et ce temps long permet aux idées, à la compréhension réciproque de pénétrer par osmose de part et d'autre et de s'imprimer dans les esprits.
Il faut noter que l'évolution de Mara est profonde au cours du roman. D'un chef de famille puissant et rusé tsurani jusqu'à la moelle, elle converge vers une conduite altruiste et pacifique à la mahatma Gandhi. J'y vois la victoire des valeurs sociales occidentales contemporaines – l'importance de la vie humaine, la lutte nécessaire contre la pauvreté, l'égalité – sur celles d'une société dont, au fond, on ne peut admettre la réalité que comme une relique de l'Histoire. Je ne sais pas si les auteurs ont consciemment manoeuvré dans ce sens ou si c'était la seule voie possible pour un roman qui doit dégager, en fin de compte, un message positif.

Le temps long est aussi à l'oeuvre dans les complots qui se réfléchissent sur des années (de nos jours on a du mal à penser plus loin que les prochaines élections). Ce sont les infâmes Minwanabi qui sont les maîtres de ce jeu dans ce tome (c'est l'effet volume2 : l'Empire contre-attaque, arf !) grâce à l'inquiétant Tasaio. Mara est plus dans la réaction à chaud, l'improvisation géniale mais risquée. Son maître espion Arakasi – un personnage des plus fascinants – est moins efficace que dans le premier tome et elle est souvent dans l'expectative.
Comme dans Fille de l'Empire, il est assez aisé de deviner quand Janny Wurts est à la plume. Elle nous offre des descriptions magiques et sereines de la vie tsurani, et surtout une pénétration psychologique de Mara toujours émouvante. le traumatisme que la Dame a subi au cours des années de vie commune avec son défunt mari Buntokapi éclate à travers sa peur panique à l'idée d'être approchée par un autre homme. Sa crainte pour sa famille et son fils inonde le lecteur un tant soi peu empathique. . Raymond E. Feist, lui, manipule à merveille les dialogues diplomatiques et le clash des combats. Son talent est indéniable quand il s'agit de nous happer en nous rongeant les ongles, inquiets de savoir qui va se sortir d'une situation périlleuse (la nuit des épées sanglantes est un chef d'oeuvre).

Différent du premier tome, ce livre l'est aussi par la connexion qui le lie à la guerre de la Faille racontée par Feist dans Magicien. Bien qu'il ne soit pas nécessaire de lire ce dernier avant, les événements qui y sont racontés déboulent dans Pair de l'Empire et désorganisent complètement le Grand Jeu. On a l'impression qu'un ouragan passe sur le monde de Kelewan, obligeant tout le monde à se protéger en attendant que ça passe. Lorsqu'il est passé, tout est bouleversé et les actions des uns et des autres vont être largement déterminés par ce maelstrom. La lutte des Acoma et des Minwanabi passe au second plan, comme une onde éloignée de sa source. C'est seulement dans la dernière partie que le Jeu, profondément modifié, reprend le contrôle du roman.

Arrivé à ce moment de la trilogie, je ne peux que m'interroger sur ce que peut contenir le dernier, tout aussi épais que celui-ci. On pourrait très bien s'arrêter ici. Et pourtant, les copines babélionautes ont adoré ce troisième. Tome. Ma curiosité est exacerbée mais j'ai besoin de laisser passer quelques mois pour me remettre de mes émotions. Après tout, je viens de passer trois semaines sur Kelewan. Il faut moi aussi que je retrouve ma sérénité.
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