En parlant d employés....
C’était ça les hommes qui s enfermaient entre quatre murs pendant les huit plus belles heures de la journée, tous les jours, .... [..] Et le soir, ils sortaient d entre leurs quatre murs avec un petit tas de sous assurés pour la fin du mois et un petit tas de cendres de ce qu avait été leur journée.
Il passa dans sa chambre, ouvrit en faisant le plus de vacarme possible le tiroir où se trouvait son peigne puis il le referma doucement, sans le moindre bruit. Ensuite, sur la pointe des pieds, il se dirigea vers le lit et retira son pistolet caché sous le matelas. Il le regarda, le glissa sous son blouson et sortit pour aller travailler.
Ce fut au tour des employés d’arriver, huit, dix, onze en tout, mais ils ne se mêlèrent pas aux ouvriers sur l’asphalte, ils restèrent sur le trottoir. Lui se cacha derrière la vespasienne et il les observa à travers les ouvertures métalliques. « C’est moi qui devrais faire le douzième », se dit-il, mais il commença à secouer la tête, il n’en finissait pas de secouer la tête et il se disait : « Non, non, vous ne m’entraînerez pas dans l’abîme avec vous. Moi je ne serai jamais des vôtres, quitte à faire n’importe quoi d’autre, jamais des vôtres. Nous sommes trop différents, les femmes qui m’aiment ne peuvent pas vous aimer et vice versa. Moi j’aurai un sort différent du vôtre, ni plus beau ni moins beau, mais différent. Vous, vous faites tout naturellement des sacrifices qui pour moi sont énormes, insupportables, et moi je peux faire de sang-froid des choses qui vous feraient dresser les cheveux sur la tête, rien que d’y penser. Impossible que je sois des vôtres.
C’était ça les hommes qui s’enfermaient entre quatre murs pendant les huit plus belles heures de la journée, tous les jours, pendant les huit heures où dans les cafés et dans les cercles et sur les marchés se passaient d’inoubliables rencontres d’hommes, où des femmes étrangères descendaient des trains ; et l’été il y avait la rivière et l’hiver la colline enneigée. C’était ça les types qui ne voyaient jamais rien et devaient tout se faire raconter, ceux qui devaient demander la permission de rentrer chez eux, même pour voir mourir leur père ou leur femme accoucher. Et le soir ils sortaient d’entre leurs quatre murs, avec un petit tas de sous assurés pour la fin du mois et un petit tas de cendres de ce qu’avait été leur journée.