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Critique de cedratier


« PASSE SOUS SILENCE » Alice Ferney (Babel-Actes Sud, 200 pages).
C'est le récit de la vraie tentative ratée d'attentat du Petit-Clamart en août 1962 contre De Gaulle (renommé ici Jean de Grandberger), par un commando OAS dirigé par Bastien-Thiry (rebaptisé Paul Donadieu), tentative qui se terminera par un procès d'exception bâclé, la condamnation à mort, le refus de grâce et l'exécution du seul chef des conjurés, alors qu'aucune victime n'était à déplorer. Les descriptions de l'attentat et du procès se veulent un décalque rigoureux de la réalité historique.
Que de talent dans cette écriture, que de finesse dans les observations et les descriptions. Un sens de la formule-choc immédiatement parlante, mais pas de dialogue, pas de suspense puisqu'on connait la chute, un texte construit au passé (et le plus souvent à l'imparfait), tout nous conduit vers l'implacable de la fin annoncée. Un texte qui travaille le lecteur sur l'émotion (et peut-être que les dernières pages sont de ce point de vue un peu forcées, touchant au mélo). Bref, une grande plume… mais au service de quoi ?
Pour entrer dans ce roman, il m'a fallu un gros effort ; tenter de mettre de côté mes convictions, pour essayer de n'accéder qu'à la valeur « littéraire » du livre eu égard à un auteur dont j'admire par ailleurs tant le style. Pari impossible ; le roman (ainsi s'intitule-t-il), commence par un prologue où Alice Ferney justifie son projet : rendre son honneur « à un homme (…) mort qui faisait honneur à son pays ». Sauf que ce n'est ni un honneur (une éthique) que je partage, ni un pays qui est le mien (quand je parle de pays, je ne parle bien sûr pas d'hexagone, avec ou sans ses excroissances coloniales, je parle de ce que j'habite et de ce qui m'habite, moi, citoyen du monde). Il y a donc un parti-pris de l'auteur, un angle de vue qui, malgré une rigueur historique qui ne s'exerce qu'autour des faits de l'attentat et du procès ou des portraits des protagonistes, est aussi un profond déni de l'Histoire. D'emblée, si Alice Ferney évoque le chef d'état par un « il » distant (et le portrait qu'elle fait de De Gaulle / de Grandberger est d'ailleurs une réussite impressionnante), elle s'adresse par un « tu » chaleureux et solidaire à Bastien-Thiry / Paul Donadieu, évoquant « nos enfants », « nos maris ». Ainsi les descriptions des atrocités du FLN (incontestables) contre nombre de harkis sont-elles détaillées dans toute leur horreur (« ils leur arrachaient les yeux, ils leur arrachaient le sexe, ils les éventraient… » etc… ), mais l'armée française (dont se revendiquent avec tant de fierté et Donadieu et l'auteur) « réprime », « interroge », au pire « exécute », mais pas la moindre évocation sur ses exactions, le mot « torture » n'est même seulement écrit une fois. Ici ou là, presque maternante avec son héros (car c'est bien un héros qu'elle nous propose en modèle, dont elle voudrait faire une sorte d'Antigone moderne), Alice Ferney pointe bien quelques-unes de ses faiblesses, (sa naïveté, sa rigidité), mais c'est pour mieux justifier son trop-plein de « droiture », de « fierté ».
C'est donc l'hagiographie d'un homme qui se transforme en légitimation de la cause qu'il a épousée, collant à son argumentaire. Une cause, celle de l'Algérie française portée par les fanatiques de l'OAS et de l'extrême-droite, qui s'est construite sur le déni et le massacre d'un peuple, une cause qui a généré tant de haines qu'on en paie encore aujourd'hui le prix.
Un livre insoutenable, au sens premier du mot.
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