Malgré tout, à chaque retrouvailles, je ne pouvais m'empêcher de scruter son visage pour y traquer avec angoisse de nouveaux signes de vieillissement.
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Même dans ce monde où tout semble partir à la dérive, il y a un certain nombre de vérités premières qu'il faut garder à l'esprit.
- Mon fils est né peu de temps après le déclenchement de la maladie de mon père.
Quand il apprenait à marcher... Papa perdait sa capacité à conduire.
(au bébé) : c'est bien pousse avec le bras pour rentrer dans la manche.
(au papa) : Mais ... comment as tu fait pour enfiler un tee-shirt sous ton pantalon !
(au bébé) : Bravo ! avec ta cuillère !
(au papa) : Attends, je vais découper ton steak.
- Le bébé : Ma ... ma
Oui ! super !
- Le papa : Je ... avec ... Bien ...
je ne comprends pas ce que tu veux dire.
Quand l'un apprend... L'autre oublie. Ils se sont pourtant rejoints sur un point, le sourire. Un sourire pur et innocent.
La barbarie n'a pas de drapeau.
Ce matin, le capitaine m'a assuré que j'ai les idées d'un adolescent romantique qui a encore besoin de mûrir. Pourtant, je ne suis pas dupe. J'ai pu éviter le port d'arme uniquement parce que la France n'a jamais déclaré la guerre. Sinon, ils m'auraient fusillé.
Ni Alzheimer, ni Parkinson, jusqu'au bout les célébrités l'auront boudé. Papa était atteint de Leucoaraöse, une banale démence sénile.
Mais l'horreur est souvent ordinaire. Avec l'âge, le cerveau se met à dysfonctionner. Impossible de savoir comment ça évoluerait.
(...)
Est-ce que c'était toujours mon père ?
Je veux dire, amputé d'une partie de sa mémoire, était-il toujours la même personne ou déjà un étranger ? (p.63)
A cette période, papa n'arrivait plus à faire une phrase simple avec les gens réels. Pourtant, il pouvait discourir des heures avec des photos. (p.47)
La défiance envers ses semblables le hantait.
La guerre ne s'oublie pas.
La guerre, ma première confrontation avec elle se fit par l'entremise du fou du village, le Cui cui.
Parti simplet en Algérie. Il en était revenu dément.
La rumeur voulait qu'on l'y ait forcé à torturer. (p.19)
A partir de mes vingt ans, je ne vis plus mes parents que sporadiquement, tous les trois ou quatre mois. Nos engueulades s'espacèrent pour laisser place à une forme d'indifférence teintée de tendresse maladroite. (p.8)