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Après le coup de poing fulgurant de Croix rouges paru en 2018, où Tatiana, la vieille dame de 91 ans racontait la Terreur stalinienne, permettant à l'auteur une mise en avant de la difficulté de la question mémorielle en Russie... retour aux purges staliniennes et un nouveau pont vers la Russie d'aujourd'hui.

Voici le parcours de Piotr Ilitch Nesterenko, qui fut le directeur du premier crématorium de Moscou ....
Il faut dire que le type a eu une vie incroyable : officier blanc enrôlé lors de la Première guerre mondiale, qui sert ensuite pour l'Armée rouge, il survit au crash de son avion alors qu'il combat dans l'armée de Denikine, l'armée blanche en lutte contre les bolcheviques en 1917, passe par plusieurs capitales européennes avant d'émigrer à Paris où il est chauffeur de taxi !
Il fait ensuite le choix incompréhensible, alors qu'il est hors d'atteinte, de retourner à Moscou, où il devient directeur du Crématorium Donskoï.

Est-ce que ce Crématorium a existé? oui!
Ouvert en 1927 dans l'église inachevée Saint-Séraphin-de-Sarov, bordée par le cimetière Donskoï, le dôme de l'église est ainsi remplacé par une cheminée de vingt mètres de haut, les fours crématoires sont installés par la société Topf and Sons... société allemande qui construira ensuite les fours des camps de concentration... les nazis n'ont pas eu le monopole de la crémation.

Sacha Filipenko a retrouvé le dossier de Nesterenko, lu ses interrogatoires, et restitue à travers son destin l'ironie stalinienne ... C'était chacun son tour.
Nesterenko est ainsi arrêté le 23 juin 1941, accusé d'espionnage selon l'article 58 pour « activité contre-révolutionnaire », retenu à la prison de Saratov, où il subit des mois d'interrogatoires. Son but, comme Shéhérazade, est de maintenir l'intérêt de son enquêteur pour prolonger sa vie. Au fil des échanges avec Perepelitsa, c'est toute la machine qui est révélée, les incinérations de jour, et les incinérations nocturnes, celles qu'on doit cacher, qui ne doivent pas laisser de traces : les fusillés et toutes les victimes de la « Grande terreur » et parfois aussi leurs bourreaux... dans le système du « petit père du peuple », nul n'est à l'abri.
Nesterenko est le grand nettoyeur en chef : « J'ai incinéré tout un pays... », « Je règne sur Moscou tel Charon ».

Restituant cet interrogatoire, le narrateur s'adresse à Vera, la femme qu'il aime, comédienne russe, qu'il retrouve à Paris, avant qu'elle ne reprenne le chemin de Moscou, préférant jouer pour Staline que de vivre pauvrement avec lui. Nesterenko la suivra sur ce chemin du retour, malgré les risques encourus. Il sera le dernier maillon de la chaîne du système, participant à la crémation d'une partie des 750 000 citoyens soviétiques exécutés entre 1937 et 1938... Jusqu'à ce qu'il soit à son tour dénoncé... Ironie macabre.

Je dois saluer le choix de la couverture avec cette affiche de Denissov et Vatolina réalisée en 1941, le texte qui l'accompagnait était « Ne bavarde pas ! Sois sur tes gardes, en de tels jours les murs ont des oreilles. Des bavardages et des ragots à la trahison il n'y a qu'un pas ». Dans le roman de Filipenko, la trahison est partout, il faut se méfier de tout le monde, même de ses proches, c'était valable sous Staline... Qu'en est-il aujourd'hui ?
Sacha Filipenko est biélorusse, dans ses romans il montre la violence des régimes soviétiques et postsoviétiques. Opposant à Poutine et Loukachenko, il a dû quitter la Russie en 2020, et s'est installé depuis en Suisse avec sa famille où il a obtenu l'asile politique. La Russie pour lui aujourd'hui ? « Un crémulateur récemment rétabli ».
Ce mot « crémulateur » n'existe pas, ni en français, ni en russe (la sonorité se rapproche de Kremlin) l'auteur nous en donne dans sa préface une définition : « un broyeur qui pulvérise définitivement ce qui subsiste d'un individu après sa crémation ». Comprendra qui voudra.

Est-ce que j'ai aimé? Oui. Fan de la première heure grâce à Croix rouges, que je vais d'ailleurs relire, je n'ai pas été déçue par Kremulator, qui sème en plus des petits cailloux de la vie de l'auteur, il est question d'exil par exemple, comme pour lui.

Lien : https://www.instagram.com/zo..
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J'ai choisi ce livre pour son titre et pour sa belle couverture, où une jeune femme avec un foulard rouge dit chut.
Mais que va nous raconter ce texte ?
L'auteur va nous parler d'un homme ordinaire, ordinaire (!!!) pas tout à fait car il travaille dans un crematorium à Moscou. Et il est emprisonné et interrogé. Nous allons apprendre comment fonctionne l'administration russe, soviétique.
Ce texte parle de la banalité du mal, à travers les interrogatoires, les lettres que le Kermalator envoie à sa douce.
Ce texte est glaçant et de plus, tout est vrai même si l'auteur a préféré faire un roman. Glaçant car d'une cruelle actualité lorsque nous entendons certaines informations provenant de Russie et d'Ukraine.
Même si cette lecture est éprouvante, cela parle d'un pan de l'histoire et nous alerte de rester vigilant.
Je vais lire les autres textes de cet auteur.
#Kremulator #NetGalleyFrance
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● L'auteur, le livre (208 pages, 2024, 2022 en VO) :
Opposant déclaré au régime pro-russe de Loukachenko, Sasha Filipenko est un écrivain biélorusse qui vit en exil dans différents pays d'Europe dont la Suisse et la Belgique.
Avec son Kremulator, il s'est emparé d'un personnage étonnant mais authentique : Piotr Ilitch Nesterenko était le responsable du crématorium funéraire de Moscou chargé d'incinérer les décédés et accessoirement, les multiples victimes des purges staliniennes.
Un homme né avec le siècle dernier et donc au parcours étonnant qui finit comme tant d'autres dans une geôle du NKVD, accusé de trahison. le livre est basé principalement sur les interrogatoires dont il fit l'objet.
C'est toute l'histoire du début du siècle qui défile dans ces fiches grâce au parcours étonnant de ce Nesterenko, véritable girouette politique (un nom qui pourrait se traduire par L'Ineffaçable, on ne peut mieux dire !).
Evidemment, au vu du pedigree de l'auteur, ce portrait sera un dossier à charge contre la machine répressive soviétique.

● le contexte :
Le mieux est sans aucun doute de laisser la parole à l'auteur dans sa préface :
[...] En 1941, le directeur du crématorium de Moscou, Piotr Nesterenko, est arrêté. Il sait mieux que personne ce qui arrive aux victimes des Grandes Purges staliniennes.
Opposants, espions présumés, anciens héros de la révolution et autres ennemis du peuple – il les a tous incinérés.
Au fil des interrogatoires, il doit répondre de sa vie tumultueuse : officier de l'Armée blanche ayant fui les bolcheviks jusqu'en Ukraine, survivant d'un étrange accident d'avion, émigré à Istanbul puis à Paris, amoureux fidèle à la passion de sa jeunesse – voici un parcours qui ne plaît pas aux autorités soviétiques…
[...] Tu parles d'une vie ! Un officier blanc, mobilisé lors de la Première Guerre mondiale, qui a trouvé le moyen de servir pour l'Armée blanche et pour l'Armée rouge, pour les Allemands et pour la Rada ukrainienne. Un pilote ayant survécu au crash de son avion, combattant de l'armée de Denikine, contraint à émigrer, transitant par plusieurs pays européens, travaillant comme chauffeur de taxi à Paris avant de revenir à Moscou, où il est devenu le premier directeur du crématorium de la ville, édifié dans l'enceinte du monastère de Donskoï. Une destinée loin d'être triste, bien que couverte de cendre. Une girouette-modèle ? Un vrai caméléon ? Ou un pauvre type, qui a juste eu le malheur de venir au monde dans l'Empire russe de la fin du XIXe siècle ?
[...] le matin, il incinérait les têtes du régime soviétique : Ordjonikidze, Gorki et Maïakovski. La nuit, il réceptionnait les cadavres des fusillés qu'il devait brûler pour faire disparaître la trace des crimes rouges. Mais quand donc dormait-il ?
[...] Kremulator, le mot russe pour « crémulateur ». Un mot dans lequel le lecteur entend à la fois un écho du Kremlin et le nom d'un métier qui n'existe pas. le crémulateur est un instrument précis, un broyeur qui pulvérise définitivement ce qui subsiste d'un individu après sa crémation (oui, certains cartilages résistent même à une heure et demie au four). Il me semble qu'il n'y a pas de meilleure métaphore pour désigner la machine répressive soviétique.

● On aime :
❤️ On aime bien entendu le sujet dont s'est emparé Filipenko : quel remarquable personnage au parcours étonnant avec qui on révise l'Histoire d'une période un peu trouble que l'on connait mal.
On aurait même apprécié que l'auteur développe un peu plus le contexte politique du "travail" de Nesterenko : tant de "traîtres" sont passés entre les mains de ce nouveau Charon ...
❤️ On aime l'humour noir, grinçant, caustique de l'auteur : c'était sans doute aussi celui du personnage, une ironie et une distance indispensables à ceux qui côtoient chaque jour la mort d'aussi près.

● L'intrigue :
En 1941, les Allemands attaquent l'URSS et les soviétiques sont aux abois, pressés d'éliminer les espions en tout genre. Mais il ne reste que très peu de candidats après les grandes purges des années 30. On ramasse ce qu'on peut et vient le tour de Nesterenko.
Le roman se base sur les interrogatoires kafkaïens de Nesterenko par le NKVD et les fiches qui retracent le parcours étonnant du bonhomme dans un début de siècle très agité : c'est l'époque de la déroute de l'Armée blanche russe jusqu'à Gallipoli, l'époque de la Grande Guerre et de la Triple-Entente, celle du fiasco des Dardanelles, ...
Après être passé par la Serbie, la Bulgarie, la Pologne et Paris où il sera taxi, Nesterenko revient à Moscou en 1926 et se retrouve responsable des cimetières de la ville.
Avec l'aide d'une honorable société allemande, il installe le premier crématorium.
Le jour, il officie pour accompagner les cérémonies funéraires des moscovites.
La nuit, le NKVD lui livre un camion de fusillés à faire disparaître ...
Pour celles et ceux qui aiment l'humour noir.
Livre lu grâce à NetGalley et aux éditions Noir sur blanc.
Lien : https://bmr-mam.blogspot.com..
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Kremulator est le récit d'un procès stalinien, c'est à dire joué d'avance et où le seul suspens est la manière dont la culpabilité du prévenu sera prouvée. En plus celui-ci est très facile, puisque l'accusé, Piotr Ilitch Nesterenko, est le directeur du crématorium de Moscou, qu'il a combattu les bolcheviks et qu'il a vécu à l'étranger ; chacun de ces faits est suffisant pour l'envoyer à la mort. Malgré tout son interrogateur cherche à retracer son parcours au lieu de le torturer pour qu'il signe des aveux factices comme c'était la norme à l'époque.

Les différents interrogatoires retracent le parcours de Nesterenko, dominé par deux forces contradictoires, le désir d'éviter des ennuis et l'amour d'une femme. C'est pour elle qu'il risque sa vie en revenant en URSS après avoir vécu à Paris. Son travail est double : le jour il incinère les indigents, la nuit il brûle les victimes de la répression, ce qui ne lui pose pas de problème :
"Ce n'est pas mon affaire. Que je les brûle le matin ou la nuit – cela ne fait aucune différence. Qu'ils aient un trou dans la nuque ou pas, pourquoi y penser, vu qu'ils sont morts ? Je ne fais que transformer de la matière grise en masse grise… "
Il est vrai qu'on ne pouvait à la fois être soviétique et penser, le système était fait pour éviter cela puisque le parti était infaillible, il suffisait de suivre ses commandements.

Son interrogateur ne pense pas non plus, son travail est de faire des procès et de condamner, il interroge et envoie à la mort. Je cite :
"L'idéal serait de joindre l'utile à l'agréable en liquidant une bonne douzaine de personnes, ce qui lui permettrait de prétendre à l'attribution d'une datcha officielle à son retour à Moscou."

Nesterenko connait bien le système, il en voit les victimes tous les jours. Il sait qu'il a très peu de chances d'en sortir, son but semble de retarder l'inéluctable en évitant les pièges tendus par son interrogateur, et il réussit pendant longtemps. Il réagit avec humour aux accusations, et les interrogatoires sont souvent ubuesques.

Mais c'est comme Ubu, amusant au début mais répétitif et nettement moins intéressant par la suite. le récit est émaillé des rêves de Nesterenko, qui songe sans arrêt à sa fiancée, même si on apprend par la suite qu'elle ne veut plus le voir. J'ai perdu toute empathie pour Nesterenko en apprenant qu'il a envoyé à la mort Savinkov, un Russe blanc réfugié à Paris, qu'il a convaincu de rentrer en URSS où il a été exécuté. Nesterenko n'en éprouve aucun remords. Quant à la fin elle est atroce

D'un point de vue historique Nesterenko a réellement existé et on apprend que la société qui a bâti le crématorium de Moscou a ensuite construit les fours crématoires d'Auschwitz, et que les Soviétiques ont été les premiers à gazer les prisonniers dans les camions (en détournant les tuyaux d'échappement dans l'habitacle fermé) avant même que les nazis n'en aient l'idée.
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Je ne connaissais pas cette maison d'édition et en consultant son catalogue ce livre m'à fait de l'oeil. Et je ne le regrette pas, une jolie surprise que voilà qui me donne envier à l'occasion de lire d'autres ouvrages de cet auteur. Une plongée dans l'histoire du stalinisme mais bien au-delà une plongée dans la dictature, dans le quotidien tragique de la dictature où les compagnons d'un jour seront tués le lendemain part ces mêmes compagnons, d'enquêtes tronquées en procès factices et ce avec un cynisme qui n'a d'égal que le peu de considération des individus.
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