Ma fille s' est insurgée. Elle trouve toujours injuste que le milieu social soit un frein à l'expression quelle qu'elle soit. Je partage son opinion. Combien d'êtres humains, parce qu'ils naissent du mauvais côté de la rive, n'auront jamais le droit à la possibilité d'exister, de créer et d'être reconnus ? Mais c'aura été encore plus dur pour les femmes de mon époque. Elles auront été niées, obligées de se taire, de se couler dans le moule de l'épouse et de la mère et d'étouffer ainsi leur raison d'être.
Il est temps d'aborder cette autre part de ma vie, celle dont je ne voulais pas. Celle qui commença par un baiser de dépit et parce qu'on m'y avait obligée. Une longue route où malgré les épines, j'ai tout de même cueilli quelques roses.
Je me souviens de l'instant précis relatif à l'habillement d'une future mariée à l'abri de tout regard masculin. Comme dans les romans et les films, de la chambre où se déroulaient les préparatifs s' échappaient quelques petits gloussements, des rires étouffés et des bruits de tissu. Ma mère et ma soeur m'aidaient. Point de robe longue. Nous sortions de la guerre. Une tenue courte que l'on pourrait réutiliser ferait l'affaire. Mais il fallait porter du blanc. Je méritais le blanc. J'étais une jeune fille propre comme on disait alors. J'ai revêtu un tailleur blanc et un chapeau juponne d'une courte voilette qui ombrait mon regard. Comme une vierge qui se pare pour gravir les marches menant au supplice.
Je n'avais pas besoin d'intermédiaire pour régler mes comptes avec le Très-Haut. Il y a toujours eu chez moi ce sentiment de révolte face au silence de Dieu, que je voulais pousser à bout, espérant une réaction de sa part. Je relisais sans cesse le livre de Job pour me justifier. Lui non plus ne comprenait pas le Très-Haut. Ses interrogations justifiaient les miennes sans pour autant me consoler.