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Critique de Antyryia



Le titre original du roman allemand, der Heimweg, signifie le chemin du retour.
L'éditeur a donc logiquement choisi un titre qui n'a aucune signification en France puisque ce métier, cette fonction, n'existe qu'en Suède et connaît de premiers balbutiements en Allemagne.
En effet dans l'hexagone le mot est assimilé à la musique ( on accompagne un guitariste principal avec notre basse ) ou au groupe ( accompagnateur dans le domaine touristique ).
Au cas présent, il s'agit d'un service pour les personnes qui se sentent en danger.
"En général c'étaient des femmes qui avaient recours au service d'accompagnement téléphonique quand, en rentrant chez elle la nuit, elles devaient traverser des parkings souterrains, des rues désertes, voire une forêt."
Et si le danger devient réel, l'interlocuteur peut prendre le relais pour prévenir la police, le Samu ou les pompes funèbres.

Histoire d'arrondir mes fins de mois, j'ai tenté de monter mon auto-entreprise dans ce secteur de services méconnu, vous avez d'ailleurs peut-être croisé mon annonce dans un encart de Télé Z, entre celle d'un médium et celle d'un téléphone rose. Avec une petite étoile renvoyant à la mention minuscule "appel surtaxé". Ben oui, je ne vais pas travailler à titre gracieux.
Je pense avoir une voix à la tonalité rassurante, et avoir assez de vocabulaire pour toujours trouver les bons mots afin de rassurer. A l'autre bout du fil, les personnes me font confiance.
Ma première cliente était une dame d'un grand âge, qui devait traverser l'autoroute de nuit. Mais il y avait encore beaucoup de circulation et elle appréhendait au vu de la vitesse des véhicules de ne pas avoir le temps de rejoindre l'autre côté. Je l'ai calmée tout en douceur, je lui ai dit de prendre une grande respiration, de bien prendre appui sur sa canne, de fermer les yeux et de foncer.
Dans le journal le lendemain matin j'ai su qu'elle n'avait rien senti.
Le plus important c'est que mes interlocuteurs reprennent confiance en eux, et je suis leur guide. Je repense à cette jeune femme éméchée qui craignait de rentrer chez elle à deux heure du matin parce que trois voyous l'attendaient sur son palier armés de cran d'arrêt. Persuadé qu'elle était en pleine hallucination liée à des substances psychotropes je l'ai convaincue, sans jamais la juger, que ce qu'elle voyait n'était pas réel. La communication a été brusquement interrompue alors qu'elle hurlait. Je n'ai jamais su si elle avait un lien avec le corps retrouvé assassiné, torturé et démembré huit jours plus tard.
Quand un homme m'a appelé pour me dire qu'il n'osait pas prendre sa voiture parce qu'il avait vu furtivement des yeux aux pupilles dilatées sous l'habitacle, je n'ai pas voulu prendre de risques même s'il s'agissait plus probablement d'un chat que d'un cobra. Je lui ai dit qu'il valait mieux rentrer à pieds, qu'il ne pouvait se fier à personne et surtout pas aux chauffeurs de taxis. Je l'ai donc accompagné durant son retour à pieds. Trente kilomètres, c'était mon compteur qui allait chiffrer. Je ne savais pas qu'il arpentait des chemins escarpées et encore aujourd'hui j'ignore s'il est mort de sa crise cardiaque ou de sa chute de trente mètres dans un ravin. Peut-être un peu des deux.
Comme le bouche à oreille n'a jamais vraiment fonctionné pour des raisons que je ne m'explique toujours pas, je lance présentement un appel : N'hésitez pas à évoquer mes prestations auprès de votre entourage.

En tout cas je n'ai jamais eu affaire à une femme telle de Klara, appelant involontairement ( ou inconsciemment ? ) un accompagnateur le jour de sa propre mort.
"Et maintenant, si vous voulez bien m'excuser, j'aimerais me tuer. Ne m'en veuillez pas, mais je crois que j'y arriverai mieux si je raccroche d'abord."
Dans le jour de ma mort, Jacques Expert nous faisait vivre un affrontement entre un tueur et sa supposée victime qui espérait survivre à la date prophétique de son décès qu'un voyant avait prédit le 28 octobre.
Les auteurs aimant donner des dates fatidiques durant l'automne, le roman de Fitzek se déroulera quant à lui le 30 novembre, sur une seule journée également. Et relate en partie l'affrontement psychologique de la supposée future victime et de son bourreau, qui a fixé cette date comme ultimatum. Ce sont les seules similitudes entre les deux oeuvres. Autant à mes yeux Expert avait cette fois-là échoué avec un roman un peu maladroit, autant Fitzek livre un de ses meilleurs thrillers, l'un de ses plus violents et de ses plus terrifiants également.
Et leurs thèmes n'ont rien en commun.

L'auteur de Thérapie évoque à son tour ici le sujet très en vogue du pervers narcissique. On ne peut pas dire que Klara soit une femme comblée. Son enfance a été difficile avec un père qui frappait sa mère, jusqu'à ce qu'elle s'interpose et prenne à son tour des coups. Plusieurs études ont démontré que ces enfants avaient jusqu'à trois fois plus de chance de reproduire le même schéma à l'âge adulte et c'est probablement une des raisons pour lesquelles Klara s'est retrouvée avec le mari le plus immonde qui soit : Martin.
"Habituellement, les coups sont suivis d'excuses et de cadeaux. Ce que Martin trouvait excitant, c'était de briser une femme adulte, puissante."
"Il jouissait littéralement de voir le bonheur mourir dans les yeux d'une femme."
"Ecraser des cigarettes sur moi, m'uriner dessus, me donner des coups de pied, me mordre, me frapper. M'arracher les cheveux était le plus inoffensif."
Bien que jaloux, Martin n'hésite pas à partager son épouse avec d'autres hommes avides de cruauté, avilissant la mère de leur petite fille Emilie.
Elle aussi amenée à reproduire le schéma de la femme brutalisée une fois à l'âge adulte ?
"Il peut taper aussi fort qu'il le veut, te violer aussi souvent qu'il le veut, tu retournes toujours auprès de lui. Pourquoi ?"
Bien que qualifié de thriller psychologique, on est loin de la finesse d'un roman tel que PN d'Anaïs Corteus. L'auteur passe relativement rapidement sur les causes, les effets, ou le phénomène d'emprise.
D'autant qu'il y a bien pire danger que ce conjoint immonde et amoral.
Des souffrances encore plus insoutenables qui se profilent à l'horizon.

A l'autre bout de la lignel, Jules, ancien pompier, devient donc accompagnateur au pied levé en remplaçant un de ses amis et se voit menacé de mort par le psychopathe surnommé "Tueur au calendrier".
"Dès qu'il découvrira que nous avons été en contact, il voudra vous trouver et vous éliminer."
Jules a un passé des plus douloureux et il ne se laissera pas distraire par ces menaces, restant concentré sur son objectif : Calmer cette jeune femme. Son empathie est palpable. Il lui faut la localiser et l'empêcher de mettre fin à ses jours comme l'a fait avant elle son épouse Dajana, dans d'horribles circonstances.
Très vite, ils se rendront compte qu'ils ont de nombreux points commun, comme si leur mise en relation durant cette interminable nuit ne devait rien au hasard.

Avec ce roman, après avoir pris le temps de présenter ses personnages, leur passé, leur entourage, leurs forces et faiblesses, Fitzek a déjà commencé à tisser sa toile sans même qu'on ne s'en rende compte. Puis soudain le roman va s'accélérer et pour ma part il m'a complètement retourné le cerveau. Je ne comprenais plus rien. Impossible de relier entre eux les différents évènements qui ne cessaient de se contredire. Vrais indices et fausses pistes, parfois évidents avec le recul et certes parfois à la limite de la crédibilité mais souvent d'une logique si implacable qu'on s'en veut de s'être encore laissé avoir comme un bleu. Parce que tout se tient.
J'ai raconté progressivement l'histoire à ma nièce, curieuse de savoir ce que je lisais.
Le lendemain elle a voulu connaître la suite alors que j'avais bien avancé entre temps et j'ai eu un mal fou parce que la moitié de ce que je lui avais dit la veille n'était que poudre aux yeux, et que le livre fourmille de détails qu'il faut réinterpréter et remettre progressivement dans le bon sens.

Dur, parfois insoutenable, je n'ai cependant pas trouvé que l'auteur se complaisait dans l'horreur.
Juste avec le matelas à eau peut-être, les lecteurs comprendront mon allusion.
Le passé et le présent de Jules et Karla provoquent un attachement immédiat pour ces deux parents que la vie n'a pas épargné.
Même s'il est pris à contre-pied, le sujet de la femme battue qui répète encore et encore, de génération en génération, le modèle parental, est un phénomène contre lequel on a envie de s'insurger. Et par le biais de ses personnages Sebastian Fitzek trouve de nouvelles façons assez originales pour permettre à ces victimes de s'en sortir et de rompre la malédiction familiale. Ca n'est plus une fatalité.
J'ignore quel personnage vous trouverez le plus ignoble dans cette galerie de sociopathes aux motivations différentes.
En tout cas ça faisait longtemps que je ne m'étais pas senti angoissé pendant une lecture. Pleine de suspense une fois les pions mis en place, entre angoisse sourde et purs moments de terreur. Bousculant jusqu'au bout tout ce qu'on pensait avoir compris.
Dans le genre, Fitzek n'est pas seulement le plus grand auteur allemand, il est un des meilleurs au monde.
Certes c'est un sujet sérieux, certes il y a une bonne dose de noirceur, mais c'est avant tout un divertissement, pour tous ceux qui aiment se perdre sur le chemin du retour, dans le dédale d'une intrigue machiavélique à souhait.
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