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Critique de nescio667


Alors qu'une véritable fièvre sécuritaire s'empare de toute l'Australie, fièvre qui enflamme les médias et les policiers comme si un terroriste se cachait à chaque coin de rue, une jeune femme, danseuse dans un bar de Sydney, vit sa petite vie tranquille, comme déconnectée des réalités du monde qui l'entoure. Gina, surnommée 'La Poupée' par ses amis et collègues, ne vit et ne travaille que pour se sortir de sa condition de danseuse. Bien sûr, quelques achats compensatoires et compulsifs de robes hors de prix ou de sacs à main Gucci lui donnent pour un moment l'impression d'être quelqu'un d'autre, mais, au fond d'elle-même, elle sait qu'elle n'est que cette danseuse de bar obligée d'être trop gentille avec des mecs qui la dégoûtent, cette danseuse de bar à l'existence sans histoire, mais sans joie aussi? et sans importance sans doute. Une vie humaine perdue parmi tant d'autres au coeur d'une société renfermée sur elle-même, apeurée et dédiée au seul profit. Aussi, lorsque 5 bombes sont découvertes dans sa ville, La Poupée en entend-elle à peine parler. Car aussi vite ses yeux avaient-ils effleuré cette nouvelle dans le journal qu'elle survolait, aussi vite se sont-ils posés sur ce beau jeune homme qui passait et une conversation se fut-elle engagée. Amant d'une nuit, le jeune Tariq (mais était-ce son vrai nom?) disparut aussi rapidement de l'existence de la Poupée qu'il y était entré. Celle-ci ne s'en formalisait d'ailleurs pas outre mesure. Jusqu'à ce qu'elle découvre ses images d'elle -oh, à peine pouvait-on la reconnaître- accompagnant Tariq à l'entrée de son immeuble, images diffusées par toutes les télés du pays, juste après que le-dit appartement ait été fouillé de fond en comble par la police. Comment et pourquoi la police avait-elle relié Tariq aux 5 bombes découvertes quelques heures plus tôt, La Poupée ne le saurait jamais. Elle commença simplement par conserver ses oeillères et faire le gros dos, semblant croire que si elle ne s'intéressait pas à l'actualité, celle-ci ne s'intéresserait pas à elle, qu'elle pourrait, comme toujours, vivre en périphérie. Bien sûr, elle voulut aller trouver la police, pour s'expliquer, dire qu'il s'agissait là d'une méprise, qu'elle n'avait rien à voir avec ces bombes, mais à chaque fois, la file d'attente était trop longue devant le guichet ou le type avant elle lui faisait peur. La Poupée repoussa et repoussa encore ce moment de la confrontation avec la réalité, ne voyant pas que cette dernière allait la rattraper.
En 2008, avec son roman 'Callisto', Torsten Krol lançait un véritable cri d'alarme des dérives entraînées par les lois hyper-sécuritaires votées après le le 11 septembre aux Etats-Unis. Sur un mode déjanté et plein d'humour, il nous contait la manière dont un jeune paysan candide d'une petite bourgade de l'Amérique profonde allait finir par être traité comme un vulgaire et dangereux terroriste. Les auteurs du lynchage de la Poupée sont les mêmes que ceux du roman « Callisto » : les médias avides de scoops et peu enclins à vérifier leurs infos avant de jeter des innocents en pâture, et des flics seulement intéressés par la petite gloire qu'ils pourront retirer d'une arrestation. La Poupée, du début à la fin, est seule et bien trop faible. Elle a tort de se renfermer, de croire que l'orage finira bien par passer. Elle a tort de vivre dans sa bulle, de se complaire dans son in-importance et de repousser sans cesse. Mais ce ne sont là que de bien maigres défauts, qui pourraient être imputés à une grande partie de la population mondiale. Et qui vont être facturés bien trop chers à La Poupée.
Désespéré et désespérant, 'La Fureur et l'Ennui' l'est assurément d'un bout à l'autre, au point qu'il me fut parfois obligatoire de m'en séparer, de le laisser de côté quelques heures pour penser à autre chose. Si la passivité de la Poupée peut énerver et donner envie de se jeter dans l'intrigue pour lui prendre la main et la conduire jusqu'au commissariat le plus proche, c'est plus sûrement l'attitude révoltante des médias marchant main dans la main avec une partie des responsables policiers qui révulse le plus. Que ceux qui ont lu 'L'honneur perdu de Katharina Blum' ne pensent surtout pas qu'ils aient déjà tout lu en matière de manipulation de l'opinion. Ce roman, parce qu'il s'inscrit dans notre actualité politique et technologique, va tristement beaucoup plus loin. Il fait de chaque être humain une quantité négligeable au regard de desseins bassement tordus qui les dépassent et démontre par l'absurde comment l'obsession sécuritaire, loin de protéger les êtres, annihile lentement et sûrement ce qui fait d'eux des humains. Salutaire, mais bougrement difficile à avaler donc.
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