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Critique de Tachan


Il y a eu une grosse vague de parution sur la figure des sorcières ces dernières années et comme à chaque fois les pépites cotoient les textes plus dispensables… Je voyais cependant souvent revenir un bûcher sous la neige dans les recommandations mais j'avais quelques appréhensions inexplicables. J'avais tort car je ressors émerveillée et toute chamboulée de cette lecture.

J‘avais déjà rencontré son autrice, Susan Fletcher, avec Un jardin de mensonges, histoire qui elle aussi m'avait comblée de surprises et d'émotion. C'est encore plus le cas ici avec une écriture encore plus belle, plus, profonde, plus poétique et plus âpre où entre nature writing et ode au devoir de mémoire, elle m'a convaincue être une grande autrice de romans historiques au féminin.

Cependant, le titre français est un peu trompeur, je trouve. On pense être au contact d'un roman sur la figure de la sorcière et sur ses derniers instants avant le bûcher, mais le roman est tellement plus que ça. Je trouve ainsi le titre originel : Corrag, prénom de l'héroïne qui représente le doigt levé, bien plus édifiant. Car au-delà de la peinture et de la dénonciation des violences faites à ces femmes différentes, c'est le récit d'une vie achoppé qu'on nous fait et le récit d'une rencontre puissante et dévastatrice.

Je ne pensais cependant pas ressortir aussi chamboulée de ma lecture. Dans les premiers temps du récit, celui étant avant tout un édifiant exemple de nature writing nous collant dans les pas d'une jeune femme obligée de vivre en symbiose avec celle-ci car rejetée de toutes parts du fait de sa naissance, j'avais l'impression de n'avoir que des descriptions bucoliques, certes très belles et poétiques, mais qui ne transportaient pas non plus mon coeur outre mesure. C'était beau de découvrir la forêt écossaise, ces lochs, ces vallées, ces plantes mais il me manquait quelque chose.

C‘est peu à peu au fil des échanges entre la voix de Corrag et celle de son geôlier, qui recueille sa parole et écrit en parallèle à son épouse restée loin de lui, que la métamorphose va s'opérer. En effet, toute cette lecture se fait un peu en apnée, l'apnée de la peur d'aller à la rencontre de ce moment tragique fatidique qui va faire basculer Corrag de sa vie tranquille dans la nature à cette vie enchaînée au fond d'une cage. Comment en est-elle arrivée là ? Pourquoi ? Pourquoi ne parle-t-on d'elle que comme une sorcière alors que c'est plus l'image d'un joli farfadet que nous avons ? Ce fut fort astucieux de la part de l'autrice de bâtir ainsi son récit sur ce compte à rebours et cette double, voire triple narration.

Je me suis ainsi laissée peu à peu pénétrer par la voix si douce et lumineuse de la jeune Corrag et comme Charles, son geôlier, mon rapport à elle s'est peu à peu métamorphosé. Je me suis fait surprendre par cette héroïne en apparence si simple mais tellement résiliente et empathique. J'ai été charmée par son rapport à la nature, au souvenir de sa mère et au clan avec lequel elle va entrer en contact avant d'en faire pleinement partie sans s'en rendre compte, à sa façon. J'ai découvert à travers elle une autre vision des Highlands, des clans et de cette figure de « la sorcière ». Tout en ayant l'impression d'être au coeur d'un vieux conte oral raconté au coin du feu, j'ai pénétré de plus en plus au coeur de sa réalité, une réalité faite d'âpreté avec cette vie dans la nature et ses hommes et femmes parfois rudes avec elle, mais une réalité pleine d'amour et de magie également. Et la puissance des émotions qui naissent peu à peu en elle m'a emportée progressivement.

C‘est cependant réellement dans le dernier quart de ma lecture que la révélation s'est faite et que mon coeur a chaviré. L'autrice mêlant ce portrait de femme à un terrible et tragique événement de l'Histoire des Highlands, nous transporte en plein coeur de celui-ci et nous le fait revivre comme si on y était. D'habitude quand on fait ce genre de choix, c'est souvent un peu artificiel car les auteurs cherchent à trop nous en montrer. L'autrice n'a pas fait ce faux pas et s'est réellement collée à ceux de Corrag pour le vivre, certes imparfaitement, mais à travers ces yeux, le rendant encore plus dramatique et ravageur. Tout a alors pris sens et cette petite fée est devenue une femme unique, forte, courageuse, téméraire, altruiste et tellement d'autres adjectifs à nos yeux. Ces pages si douloureuses furent une merveille d'écriture !

Susan Fletcher s'attaque ainsi avec sa propre vision des choses à la figure de la sorcière. Corrag, qui est un personnage qui a réellement existé comme nous le fait comprendre la postface, l'incarne et la transcende, montrant plutôt ce que c'est d'être une femme seule, sans appui, mais avec des connaissances et beaucoup d'altruisme au coeur de ces montagnes des Highlands. le parcours de Charles qui s'ouvre à elle et déconstruit sa vision des sorcières est un modèle du genre, porté par une émotion bouleversante transmise grâce à la plume de l'autrice. J'avais des a priori sur ces textes sur « les sorcières », les trouvant un peu caricaturaux et toujours pareils. Susan Fletcher a su me montrer qu'avec des bases communes on peut proposer tout autre chose. Une grande histoire. de grandes rencontres. SPOILER : Ah, cette romance avec Alastair ! ❤

On peut ne considérer ce roman que comme une énième histoire sur une figure de sorcière mais ce serait passer à côté de tellement de choses. C'est une superbe ode à la vie dans les Highlands, aux familles de coeur qu'on se crée, à l'altérité et à la puissance des sentiments qu'on les trouve dans la foi, la famille, l'amour, la nature, la perte et le renouveau. Cette revisite d'un épisode tragique de l'Histoire écossaise est incarnée ici par une figure féminine à qui l'autrice a donné une telle réalité qu'on ne peut sortir que chamboulé de ce récit au coin du feu faisant appel à notre devoir de mémoire pour les victimes de ce massacre. Elle redéfinit merveilleusement la vie dans ces terres, leurs solidarités, leurs trahisons, leurs amours comme leurs espérances et ça touche en plein coeur.
Lien : https://lesblablasdetachan.w..
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