Quand le vrai et le faux se confondent et que les faits les mieux établis semblent suspects, l’impossible devient crédible.
Une des raisons qui m'ont incité à écrire ce livre est que, depuis au moins deux décennies, la France s'habitue un peu trop à vivre dans le régime de la sidération permanente. Au point que, l'attention étant focalisée par des événements qui se bousculent, leurs conséquences sur l'état de la démocratie passent souvent inaperçues.
Quand le vrai et le faux se confondent et que les faits les mieux établis semblent suspects, l'impossible devient crédible.
L’avantage de 1938 est de condenser en quelques mois des évolutions à l’oeuvre depuis plus d’une décennie dans le présent : radicalisation conservatrice du discours camouflée par une idéologie postpartisane, triomphe des solutions libérales en pleine crise du libéralisme économique,
perception des procédures démocratiques comme un obstacle à la mise en oeuvre d’une politique efficace, renforcement inexorable du pouvoir exécutif, multiplication des lois sécuritaires, restrictions dans la politique d’accueil des réfugiés, stigmatisation d’une minorité religieuse à la faveur d’une “guerre” officiellement déclarée contre ses membres les plus fanatiques. Le tout sur le fond d’une montée apparemment irrésistible des “nationaux” rebaptisés ”populistes” sans que cette nouvelle appellation nous éclaire beaucoup dans l’intelligibilité du phénomène.
Les camps d'extermination ont signé la fin d'une histoire aujourd'hui révolue où il était possible de cacher un génocide à la connaissance du monde.
Avant-propos, p. 12
(p. 144)
Le malheur social, explique Klossowski, unifie les masses : dans les pays totalitaires, "les chefs réalisent ce miracle de mettre l'ascétisme au service de la voracité affamée". Les dirigeants totalitaires ne nourrissent pas beaucoup mieux leur peuple, mais ils lui donnent en compensation un nouvel objet à haïr. Dans les démocraties, le malheur est moins visible, l'opposition des "repus" et des "voraces" se trouve voilée dans le respect des règles. "On prône la libre concurrence comme un état de paix.".
(p. 88)
Le 14 novembre [1938] sont promulgués pas moins de trente-deux décrets-lois. Je passe beaucoup de temps à en lire la reproduction dans les journaux. Deux d'entre eux portent sur le statut des étrangers. Dans cette masse de décrets, ils passent presque inaperçus. Je parlerai de ces mesures plus loin, mais je remarque qu'en 1938 il apparaît naturel de lier la politique sociale et immigration.
La question pertinente n'est plus "Que s'est il passé dans les années 30 qui pourrait peut-être revenir?", mais "De quoi les années 30 sont-elles la manifestation, et en avons-nous définitivement fini avec cela?"
Avant-propos P13
(p.89)
C'est le moment de tenir cette promesse : "Il faut des économies, des économies sévères, des économies en profondeur." On fera d'abord ces économies en baissant le nombre de fonctionnaires. Bien sûr, "la suppression d'emplois ne sera pas faite au hasard, mais après une étude approfondie des besoins de l'État" (c'est à cela que sert le comité de la Hache). À la place des fonctionnaires dont les postes sont supprimés, l'administration recrutera des "agents civils temporaires " révocables à tout instant. Je me demande s'il est bien raisonnable pour un État de s'appuyer sur des personnels inexpérimentés alors qu'existe un risque de guerre. Mais les réformistes le pensent puisqu'ils considèrent que la guerre n'a rien d'imminent et que le mieux serait de l'éviter pour toujours.
Aucun événement historique ne se reproduit sous la forme et dans les circonstances où il est advenu la première fois. Cela vaut du tragique comme du futile.