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EAN : 9782130817512
156 pages
Presses Universitaires de France (27/03/2019)
4.13/5   42 notes
Résumé :
« Populisme », « néolibéralisme », « nationalisme » : les mots se bousculent et pourtant l’insatisfaction demeure. Pour décrire ce qui nous arrive, nous ne manquons pas de savoirs. La crise de la démocratie fait l’objet de diagnostics récurrents. Mais c’est la stupeur qui domine, comme si la nouveauté du présent contribuait encore à accroître l’inquiétude. Et si cette nouveauté tant de fois mise en avant était un obstacle à la compréhension ? Ce livre décrit la renc... >Voir plus
Que lire après Récidive 1938Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (13) Voir plus Ajouter une critique
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Historien de formation, j'ai peu l'habitude (voire jamais, en fait) de lire des ouvrages écrits par des philosophes. Exceptionnellement, j'ai été très fortement attiré par la récente sortie de Récidive 1938, où le philosophe Michaël Foessel plonge dans la presse de 1938 et s'interroge, en philosophe et citoyen, sur le degré de démocratie que proposait la fin de la IIIe République en France.

Plongée dans la sphère médiatique de 1938
Michaël Foessel attaque sa « petite » enquête presque en naïf. On sent bien qu'il écrit en philosophe, mais il aborde cette période sans a priori particulier, n'étant pas un historien, encore moins spécialiste des années 1930. Tout simplement, il se met à lire un par un des journaux emblématiques de cette époque : Paris-Soir qui n'est pas le plus reluisant, Le Figaro soutien de la droite, L'Action Française soutien des royalistes et des antisémites, L'Humanité soutien des socialistes, etc. Il compare, il liste les expressions-clés qui reviennent le plus souvent, il juxtapose les différentes versions d'un même événement ; l'auteur se mue donc en chercheur en histoire des médias afin de comprendre qu'elle pouvait bien être l'ambiance de l'année 1938. Or, il s'en passe des choses d'importance cette année-là dans et hors de France : outre les conséquences durables du krach boursier de 1929 avec la dette, le déficit et le chômage chroniques, le Front Populaire est cassé par la défection d'Édouard Daladier en faveur d'une politique bien plus à droite ; les terribles accords de Munich sont ratifiés en fin d'année alors que l'Allemagne a proclamé l'annexion de l'Autriche en mars (Anschluss) ; la guerre d'Espagne se poursuit, toujours aussi violente ; les Nouvelles Galeries à Marseille subissent un violent incendie. Ces quatre événements qui peuvent sembler sans lien direct prennent tout leur sens quand on décortique la presse française, car ils renforcent la volonté des dirigeants français de basculer toujours un peu plus dans le capitalisme forcené, ce dernier s'accommodant toujours très bien d'États autoritaires.

La longue montée du fascisme français
En effet, il ne faut pas voir la fin de la IIIe République comme un simple basculement entre un avant et un après Philippe Pétain, ce serait dédouaner tous ceux qui ont alimenté et renforcé les aspirations xénophobes de la France ; or, Michaël Foessel montre parfaitement que les idées xénophobes, voire antisémites, sont plus que jamais prépondérantes dans les médias dominants dans les années 1930. Certes, l'image du Front Populaire adoucit notre vision de cette période, car on pense de suite aux congés payés et à quelques moments de répit accordés aux classes populaires face au patronat, mais cela s'est conquis de haute lutte ; il ne faut donc pas négliger tous les contrefeux allumés pour détourner les masses de ces revendications qui auraient pu aller bien plus loin. La presse la plus lue en 1938 se fait largement le porte-voix des mouvements politiques au pouvoir, partisans d'un État plus autoritaire, qui contrôlerait davantage les allées et venues, en prenant le prétexte des migrants venus d'Espagne pour lancer un tour de vis sécuritaire, ainsi qu'en prenant appui sur le chômage de masse non pas pour accabler le patronat qui organise cette armée de réserve du capital, mais plutôt pour accabler le prolétariat de ne pas être assez volontaire et les migrants de vouloir venir voler le travail des prolétaires. Les ressorts sont connus et pourtant ils sont tellement huilés que la dynamique ne se grippe toujours qu'au prix d'intenses sacrifices de la part des partisans de politiques plus humanistes, plus internationalistes et moins inégalitaires. L'auteur conduit une réflexion efficace et termine son propos en soulignant bien les différences fondamentales de contexte qui existent entre 1938 et 2018, mais insiste sur le fait que c'est le même capitalisme débridé qui est à la manoeuvre.

Récidive 1938 est donc clairement à lire, c'est court et intense et cela éclaire de façon bienvenue une situation politique bien tendue actuellement, où quantité de thèmes se percutent, sans logique apparente mais pourtant symptomatiques d'un système capitaliste à bout de souffle.

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Je ne sais plus dans quelle émission j'ai découvert il y a quelques semaines le philosophe Michaël Foessel, mais j'ai tout de suite été attiré par le projet sur lequel il s'était appuyé pour écrire son dernier livre : Récidive. 1938.

Cette démarche peut se résumer en quelques mots : relire, en 2018, la presse française de 1938 : la dernière année avant la guerre, l'année des accords de Munich, peut-être l'année de la dernière chance des démocraties face aux régimes fascistes.

" « Populisme », « néolibéralisme », « nationalisme » : les mots se bousculent et pourtant l'insatisfaction demeure. Pour décrire ce qui nous arrive, nous ne manquons pas de savoirs. La crise de la démocratie fait l'objet de diagnostics récurrents. Mais c'est la stupeur qui domine, comme si la nouveauté du présent contribuait encore à accroître l'inquiétude. Et si cette nouveauté tant de fois mise en avant était un obstacle à la compréhension ?

Ce livre décrit la rencontre entre un philosophe inquiet du présent politique et l'année 1938. Tombé presque par hasard sur la presse française de 1938, l'auteur est allé de surprise en surprise. Au-delà de ce qui est bien connu (les accords de Munich et la supposée « faiblesse des démocraties »), il a découvert des faits, mais aussi une langue, une logique et des obsessions étrangement parallèles à ce que nous vivons. L'abandon de la politique de Front populaire, une demande insatiable d'autorité, les appels de plus en plus incantatoires à la démocratie contre la montée des nationalismes, une immense fatigue à l'égard du droit et de la justice : l'auteur a vu dans ce passé une image de notre présent.

Ce livre ne raconte pas l'histoire de l'avant-guerre, il n'entonne pas non plus le couplet attendu du « retour des années 30 ». Il fait le récit d'un trouble : pourquoi 1938 nous éclaire-t-il tant sur 2018 ? Non sur les événements, bien sûr, mais sur une manière de les interpréter systématiquement dans le sens du pire. « Récidive », c'est le nom d'une errance dans un passé que l'auteur croyait clôt. C'est aussi le risque d'une nouvelle défaite. "

Dans son introduction, Michaël Foessel explique tout d'abord sa “rencontre” avec l'année 1938, ce qui l'a motivé ensuite à éplucher la presse française de 1938, sur tout le spectre de l'échiquier politique, de L'Humanité à Je suis partout, sans oublier la presse dite populaire et locale. Il y a notamment ce passage qui explique très bien, me semble-t-il, pourquoi l'auteur a estimé utile l'écriture de ce livre :

" J'ai rencontré 1938, je n'en ai pas fait l'étude. La rencontre suppose une surprise, elle est tout le contraire d'une confirmation. En l'occurrence, la confirmation de mon savoir scolaire sur la période aurait consisté dans la découverte d'un pays amoindri par des querelles intérieures, idéaliste sur les chances du maintien de la paix européenne et soucieux de préserver des règles démocratiques dans un environnement continental de plus en plus hostile. La surprise est venue de ce que je n'ai rien découvert de tout cela. En 1938, j'ai rencontré des logiques, des discours, des urgences économiques ou des pratiques institutionnelles qui m'ont d'abord instruit sur ce que nous vivons aujourd'hui. […]


On devrait donc s'attendre à voir la France passer sans transition de la lumière à l'ombre : d'un régime parlementaire, peut-être faible, mais attaché à ses principes, à un système autoritaire imposé par l'occupant. Or, je n'ai pas vu dans la France de 1938 un pays que son respect des règles parlementaires rendait vulnérable à l'ennemi fasciste. Justement parce que j'étais animé par des inquiétudes sur la démocratie en 2018, j'ai décelé dans la France de 1938 une société qui, sans rien savoir de ce qui l'attendait, avait déjà abdiqué sur l'essentiel. "

Plutôt qu'un récit chronologique, l'auteur s'attache à suivre un plan thématique, il nous parle ainsi tour à tour de questions économiques, sociales, institutionnelles, morales, etc. La lecture et l'analyse de la presse de 1938 par Michaël Foessel montre la nature des débats qui agitaient alors le pays : la politique étrange de la France (apaisement ou confrontation avec l'Allemagne), les relations avec l'URSS, les alliances politiques entre radicaux et les socialistes et communistes ou au contraire avec la droite, la mise en place sans cesse différée d'une retraite pour les “vieux”, la remise en cause des acquis du Front Populaire, et le procès médiatique fait à cette période de progrès social. 1936 est dénoncée en 1938 comme la cause de tous les maux, oubliant au passage les effets de la crise économique de 1929, comme Mai 68 ou les 35 heures sont encore régulièrement posés en bouc-émissaire dans nos débats contemporains, oubliant les crises économiques et financières successives depuis la fin des Trente Glorieuses.

Pourtant, l'auteur ne veut pas se contenter de l'équation 1938 = 2018, attendue et trop simpliste. Ainsi, il ne parle jamais directement, ouvertement, des événements et des personnalités de 2018, laissant le lecteur face à sa propre réflexion à travers des citations de discours et d'articles de 1938. Il est souvent troublant de retrouver dans ces textes de 1938 des préoccupations omniprésentes dans le discours public actuel, ainsi qu'un vocabulaire dont l'usage nous semble pourtant récent. Là où j'ai été plus gêné, c'est quand l'auteur, heureusement en de très rares occasions, paraphrase les écrits et les déclarations de 1938 avec des mots d'aujourd'hui, pour renforcer artificiellement la similitude entre les deux époques.

La thèse proposée par Michaël Foessel et que le lecteur pourra ou non s'approprier, est que la France de 1938 n'était pas la démocratie faible et impuissante face à des régimes autoritaires, telle qu'on l'a longtemps décrite dans nos manuels d'Histoire. Pour l'auteur, cette vision est même trompeuse : serait-ce la démocratie, soupçonnée d'être par nature lente et inefficace, qui serait la cause de la défaite de 1940 ? Au contraire, l'auteur tend à montrer qu'en 1938, la République Française avait déjà commencé le tragique chemin qui l'amenait à n'avoir plus de République que le nom. Selon lui, la dérive autoritaire était déjà en route, et c'est en reniant ses valeurs, en acceptant les termes du débat portés par ses ennemis, que la Troisième République agonisante préparait le terrain du régime de Vichy. Michael Foessel reprend ainsi le terme de « pré-fascisme » employé dans la revue Esprit en 1938, pour qualifier le régime et l'atmosphère politiques de la France de la fin des années 30.

Dans sa conclusion, l'auteur Michaël Foessel prend garde à ne pas tomber dans la facilité : il réfute l'idée que l'histoire se répète, que les années qui ont suivi 1938 préfigurent les années à venir pour nous. Il reconnait toutefois des similitudes entre 1938 et notre époque. Il parle d'analogie, sans laquelle ce livre serait finalement sans objet.

" Une analogie n'est pas une simple ressemblance, mais une égalité des proportions. Elle n'affirme pas que A = B (1938 = 2018), mais que A/B = C/D : il s'agit d'une identité de rapports entre des réalités hétérogènes.

En l'occurrence, l'hypothèse finale de ce livre est que la politique Daladier, faite d'assouplissement économique et de reprise en main autoritaire, est aux régimes totalitaires qu'elle combat ce que les politiques néolibérales menées depuis plus d'une décennie sont au nationalisme autoritaire qui menace de venir dans nombre de pays européens.

A et C sont adoptées comme des politiques alternatives à ce dont elles risquent en réalité de faciliter l'advenue par toute une série de mesures et d'associations d'idées.

Le fait, par exemple, d'avoir introduit dans le « grand débat » la question de l'immigration absente des revendications initiales des « Gilets jaunes » est hautement symbolique. En 1938, déjà, les décrets-lois sur la police des étrangers apparaissaient au milieu d'une avalanche de mesures économiques. Cela crée artificiellement un lien entre les problèmes sociaux et les angoisses identitaires dans le but de flatter une opinion publique supposée intrinsèquement xénophobe. […]

Ce qui ne diffère pas, en revanche, c'est la tentation de déplacer le centre de gravité du conflit : de social et démocratique, il devient identitaire et culturel. Comme le débat sur la politique économique est borné par des a priori gestionnaires, on engage la discussion sur l'insécurité culturelle et l'identité nationale. Des sujets qui présentent l'avantage de n'impliquer aucune ligne budgétaire, mais qui donnent par avance raison aux adversaires de la démocratie que l'on entend combattre. "

Michaël Foessel évoque notamment l'idée dangereuse de combattre les adversaires de la démocratie avec des armes qui, d'abord, ne font que les renforcer, et ensuite, pourront leur servir s'ils parviennent au pouvoir :

" L'analogie entre 1938 et 2018 présente aussi l'intérêt de mettre en garde contre des mesures prises pour défendre la démocratie et qui, dans les faits, risquent de la mettre à terre. […]

Quelles que soient les précautions que l'on peut avoir à l'égard des leçons de l'Histoire, il est utile de se souvenir que, parvenus au pouvoir, les adversaires acharnés de la République se sont appuyés sur l'héritage d'une République délestée de ses défenses démocratiques. "

Je pourrai disserter encore des heures, ou des pages, sur ce livre passionnant et vous livrer les nombreux passages que j'y ai surinés pendant ma lecture. Je vais me contenter de citer la conclusion, parfaite à mes yeux :

" En 1938, rien n'était inéluctable. La lassitude à l'égard de la démocratie s'est transformée en ressentiment seulement lorsque l'on s'est convaincu que cette forme de société était à l'origine du malheur français.

Aujourd'hui, tout est à reprendre. Conquis de haute lutte après la Seconde Guerre mondiale, le consensus européen autour de la démocratie est largement effrité. Certains présentent comme une fête au coût exorbitant un amour pour la liberté et une passion égalitaire qui, en réalité, ont triomphé au cours d'un combat sans merci.

Rien n'oblige, pour autant, à emprunter une nouvelle fois le chemin d'une longue et vaine pénitence pour redonner vie à ces sentiments. "
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Ce livre vaut vraiment la peine d'être lu pour qui aime l'histoire, la politique et plus généralement est intéressé par la vie politique française et européenne. En 2018, l'auteur s'interroge sur l'année 1938 ; grâce à des sites (Retronews et Gallica) il lit la presse de cette année-là, s'imprègne totalement de cette époque et, tout au long de son enquête, il y voit des analogies avec la période actuelle. Il ne cherche pas absolument à faire un parallèle entre les deux périodes, mais à établir des liens entre une langue identique, des comportements identiques, des inquiétudes, des renoncements et des trahisons de la classe politique etc ... Mon édition était complétée par une postface de 2020.
Très éclairant pour notre monde actuel !
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C'est à un petit voyage dans la France de 1938 que nous invite Michaël Foessel avec ce livre paru aux Presses universitaires de France en mars dernier. Philosophe de formation, l'auteur ne prétend aucunement proposer une analyse historique de cette époque. Il s'agit plutôt de nous raconter sa propre découverte de l'année 1938, dont il a été frappé par le grand nombre de similitudes qu'elle partage avec ce que nous vivons actuellement en France. L'auteur met les choses au clair dès le début : il ne s'agit pas d'affirmer ou de démontrer que nous sommes actuellement en train de revivre les années 1930, ni que ce qui s'est passé à l'époque nous pend au nez. le but est plutôt de tenter de comprendre les phénomènes qui rendent possible que, à quatre-vingt ans d'intervalle, ces deux situations aient autant en commun. Bref, si pour l'auteur 1938 n'équivaut pas à 2018, l'analogie entre les deux époques est frappante (« L'analogie est une manière de mettre en garde contre la récidive, tout en gardant raison. »).

Difficile effectivement, en se penchant d'un peu plus près sur cette époque, de ne pas être frappé par les similitudes entre 1938 et 2018, que ce soit dans le domaine de la politique, de l'économie ou du social. L'auteur résume cela parfaitement dans sa conclusion : c'est un peu comme si l'année 1938 condensait en quelques mois seulement les évolutions que nous voyons actuellement à l'oeuvre depuis plus d'une décennie : « radicalisation conservatrice camouflée par une idéologie post partisane ; triomphe des solutions libérales en pleine crise du libéralisme ; perception des procédures démocratiques comme un obstacle à la mise en oeuvre d'une politique efficace ; renforcement du pouvoir exécutif ; multiplications des lois sécuritaires ; restrictions dans la politique d'accueil des réfugiés ; stigmatisation d'une minorité religieuse à la faveur d'une « guerre » officiellement déclarée contre ses membres les plus fanatiques. » L'état de la IIIe République des années 30 semble être approximativement le même que celui de notre Ve République, toutes deux prétendant défendre la démocratie contre ses ennemis en empruntant justement leurs armes… et en se montrant du coup de moins en moins démocratiques.

Si l'ouvrage n'est pas historique, il s'attache néanmoins à nous dépeindre les principaux événements de l'époque, certains plus célèbres que d'autres : l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne (mars), le remplacement de Léon Blum par Daladier (avril), la conférence d'Evian (juillet), les accords de Munich (septembre), le vote des pleins pouvoirs à Daladier (octobre)… Tous ces événements, c'est par le biais de la presse de l'époque et de l'analyse qu'elle en propose que l'auteur les découvre et nous les fait découvrir. Grâce aux archives en ligne, Michaël Foessel épluche aussi bien les journaux d'extrême-droite que ceux des modérés (la droite de l'époque), des radicaux (centre gauche ou droite en fonction des périodes) ou des communistes (une partie de la gauche). Certains sont aujourd'hui encore très connus (Marianne, Le Figaro, L'Humanité), tandis que d'autres ont disparu ou ont été oubliés, parfois pour le meilleur (Le Temps, le Petit Parisien, et bien sûr le nauséabond Je suis partout). Là encore, il est frappant de constater à quel point 1938 fait échos à ce que nous vivons aujourd'hui, notamment dans le domaine du langage et des thèmes traités par la presse et les politiques : il est question de « remettre la France au travail », de lutter contre les « fausses informations » qu'on attribue à des puissances étrangères, ou encore de la nécessité de « flexibiliser » le monde du travail.

L'auteur opte pour une construction thématique plutôt que chronologique, ce qui lui permet de mettre clairement en lumière la succession de renoncements qui se sont opérés au cours de cette année 1938. La défaite de Blum, d'abord, qui se voit refuser par le sénat les moyens pour mettre en place sa politique de sortie du libéralisme. La défaite des partis, ensuite, avec l'effondrement du Front populaire et la radicalisation des autres mouvements (à commencer par les radicaux qui se rapprochent définitivement de la droite). La défaite sociale, aussi, avec la liquidation des acquis de 1936 et la mise en place d'une politique encore plus libérale (alors que le libéralisme est justement en pleine crise). La défaite de la République, encore, avec la montée de l'autoritarisme, le renforcement du pouvoir exécutif (Daladier ne gouverne presque plus que par décret-loi, l'équivalent des ordonnances d'aujourd'hui : l'assemblée n'a plus aucun pouvoir), et surtout la diffusion d'une vision de la démocratie parlementaire comme d'un obstacle à la mise en place d'une politique efficace (trop de lenteur, trop de débats…). Une défaite morale, enfin, avec un durcissement de la politique d'accueil des réfugiés et la promulgation de toute une série de lois sécuritaires qui participent à instaurer un climat hostile et à inciter l'opinion publique à rapprocher problèmes sociaux et angoisses identitaires.

Mis à part dans son avant-propos et sa conclusion, l'auteur s'en tient aux années 1930 et ne parle jamais de la situation politique et économique actuelle : il n'en a pas besoin. Les similitudes entre les deux époques sont tellement criantes qu'évoquer les événements de 1938 suffit à ce que le lecteur fasse immédiatement le lien avec aujourd'hui. Encore une fois, le but n'est pas de dire que l'histoire est amenée à se répéter et que les choses vont se passer de la même manière : ce n'est pas du tout le message de l'auteur. le propos de l'ouvrage consiste simplement à nous faire remarquer que les deux situations présentent une analogie troublante et qu'il serait intéressant de se pencher sur les phénomènes qui ont rendu ce rapprochement possible à quatre-vingt ans d'écart.
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Ce livre tente de faire le point sur le fameux retour aux années 30 dont se gargarisent les médias (ainsi que le Président de la République) au moindre fait plus ou moins raciste. le but étant de faire peur avec le spectre du fascisme, désormais agité à chaque échéance électorale.

Si menace il y a, il convient de l'appréhender avec raison et non par la peur que peut susciter ce genre de discours. Il convient également de réfléchir sur les origines possibles de la menace car pointer des actes ponctuels est loin de suffire.

Michael Foessel nous propose, avec Récidive, de scruter ces années 30 et de voir en quoi elles pourraient faire écho à notre époque.

Spécialiste de la pensée politique d'Emmanuel Kant, influencé également par Paul Ricoeur, Michael Foessel enseigne la philosophie à l'École Polytechnique depuis 2013. Il est également impliqué dans la Revue Esprit fondée par le philosophe chrétien et personnaliste Emmanuel Mounier.

Méthodologiquement parlant, l'auteur choisit de s'appuyer principalement sur la presse contemporaine pour aborder l'époque. Aucune référence aux historiens modernes donc. Il n'aura pour base que son savoir scolaire sur l'époque (et quelques réminiscences de ses lectures de l'historien Marc Bloch et de la philosophe Hannah Arendt).

Cette méthode peut surprendre de la part d'un philosophe, mais elle a pour soi d'éviter les lectures partisanes. L'historien Rabinowitch s'était appuyé sur une telle méthode, avec le succès qu'on lui connaît, pour son livre Les bolcheviks prennent le pouvoir. L'ouvrage se révèle être une charge contre les bolcheviks sans avoir à traiter ceux-ci de dictateurs masqués derrière de beaux idéaux ou de dangereux illuminés. Seuls les événements sont rapportés, d'après les publications d'époque (presse partisane ou non, tracts, etc.). A nous de nous faire un jugement.


La presse française des années 30 est plus facilement accessible grâce à des sites en ligne comme Retronews ou Gallica.

Le projet du livre est donc de relater cette rencontre avec les années 30 qui va rapidement se focaliser sur l'année 1938. le philosophe remarque que cette année est une année charnière : celle non seulement de la fin du Front Populaire mais également d'un affaiblissement particulièrement inquiétant de l'État de droit.

Si dans l'introduction l'auteur évoque quelques points de ressemblance ou de dissemblance entre 1938 et notre époque, il précise que sa présentation de 1938 se fera sans référence au présent, et sans non plus présumer de l'avenir vichyste du pays.

Bien souvent on pense que le gouvernement français en est venue par contrainte au régime vichyste suite à la défaite militaire. Comme le dit l'auteur, « on devrait donc s'attendre à voir la France passer sans transition de la lumière à l'ombre ». le récit de 1938 par Michael Foessel vient démentir ce récit.


Le livre commence par évoquer la presse française d'extrême droite de 1938 : l'accession de Léon Blum à la présidence du Conseil en 1936 est vécue comme une catastrophe. La France est passée « sous la domination d'un juif ».

Les nationalistes proposent d'imposer un statut juridique spécial aux Juifs, à l'image de la politique allemande d'Hitler.

L'auteur souligne le caractère légaliste des solutions (aucun appel à des pogroms).


Le 8 avril 1938 Léon Blum démissionne après que sa demande de pleins pouvoirs pour « sortir du libéralisme pur » ait échoué.

Daladier lui succède. Issu du Parti Radical Socialiste, il tire le parti sur sa droite.

La droite, elle, rêve d'une « république autoritaire » pour réparer les « folies du Front populaire ». Il faut remettre la France au travail. S'ensuivent nombre d'invectives contre l'assistanat (déjà à cette époque !).

Même si, dans les têtes de l'époque, on date l'origine du problème à 1936, on fustige trop d'années d'assistanat et de pression fiscale !

On veut réformer l'État. Étrangement, le projet consiste là aussi en une baisse drastique des dépenses publiques et des prestations sociales. Daladier et la droite se rassemblent sur ces points.

Son gouvernement va imposer un durcissement des lois antisociales : répression des grèves des ouvriers et des fonctionnaires, utilisation massive des gaz lacrymogènes, révocations de fonctionnaires grévistes, syndicalistes écopant de peines de prison ferme, etc. (toute ressemblance avec l'actualité n'est pas forcément fortuite !)

La droite n'attaque pas seulement le Front Populaire sur ses mesures économiques, mais aussi sur le plan idéologique :

« [la droite] stigmatise le sectarisme anti-familial, anti-religieux, antilibéral du Front populaire. Suit toute une série de préconisations destinées à redonner de l'influence à la religion dans le domaine scolaire et à rehausser le prestige de l'Église catholique contre l'esprit de laïcité qui ronge le pays. La mobilisation ne peut se contenter d'être économique, elle doit aussi être morale. »

Cela confirme, si besoin était, les propos d'Ugo Palheta1 sur le facteur idéologique nécessaire à une politique régressive. La matraque du policier ne suffit pas. Il y faut aussi le sermon.

Blum, de son côté, estime que les mesures économiques du gouvernement n'arrangent rien. Il s'agit manifestement de se venger du Front populaire. Pour cela, on stigmatise les images de jeunesse, de santé et de bonheur dues aux congés payés.

Qu'est-ce qui explique le revirement de Daladier, qui a pourtant participé au Front populaire avec Léon Blum ?


Résumé complet sur le Blog Philo-Analysis
Lien : http://philo-analysis.over-b..
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critiques presse (1)
NonFiction
26 avril 2019
Pour Michaël Foessel, le fascisme n'est pas une fatalité. A l'homme de prendre la mesure de ses actes.
Lire la critique sur le site : NonFiction
Citations et extraits (12) Voir plus Ajouter une citation
L’avantage de 1938 est de condenser en quelques mois des évolutions à l’oeuvre depuis plus d’une décennie dans le présent : radicalisation conservatrice du discours camouflée par une idéologie postpartisane, triomphe des solutions libérales en pleine crise du libéralisme économique,
perception des procédures démocratiques comme un obstacle à la mise en oeuvre d’une politique efficace, renforcement inexorable du pouvoir exécutif, multiplication des lois sécuritaires, restrictions dans la politique d’accueil des réfugiés, stigmatisation d’une minorité religieuse à la faveur d’une “guerre” officiellement déclarée contre ses membres les plus fanatiques. Le tout sur le fond d’une montée apparemment irrésistible des “nationaux” rebaptisés ”populistes” sans que cette nouvelle appellation nous éclaire beaucoup dans l’intelligibilité du phénomène.
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Une des raisons qui m'ont incité à écrire ce livre est que, depuis au moins deux décennies, la France s'habitue un peu trop à vivre dans le régime de la sidération permanente. Au point que, l'attention étant focalisée par des événements qui se bousculent, leurs conséquences sur l'état de la démocratie passent souvent inaperçues.
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(p. 144)
Le malheur social, explique Klossowski, unifie les masses : dans les pays totalitaires, "les chefs réalisent ce miracle de mettre l'ascétisme au service de la voracité affamée". Les dirigeants totalitaires ne nourrissent pas beaucoup mieux leur peuple, mais ils lui donnent en compensation un nouvel objet à haïr. Dans les démocraties, le malheur est moins visible, l'opposition des "repus" et des "voraces" se trouve voilée dans le respect des règles. "On prône la libre concurrence comme un état de paix.".
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(p.89)
C'est le moment de tenir cette promesse : "Il faut des économies, des économies sévères, des économies en profondeur." On fera d'abord ces économies en baissant le nombre de fonctionnaires. Bien sûr, "la suppression d'emplois ne sera pas faite au hasard, mais après une étude approfondie des besoins de l'État" (c'est à cela que sert le comité de la Hache). À la place des fonctionnaires dont les postes sont supprimés, l'administration recrutera des "agents civils temporaires " révocables à tout instant. Je me demande s'il est bien raisonnable pour un État de s'appuyer sur des personnels inexpérimentés alors qu'existe un risque de guerre. Mais les réformistes le pensent puisqu'ils considèrent que la guerre n'a rien d'imminent et que le mieux serait de l'éviter pour toujours.
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Quand le vrai et le faux se confondent et que les faits les mieux établis semblent suspects, l’impossible devient crédible.
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Vidéo de Michaël Foessel
Peut-on encore être de gauche et aimer le steak frites? C'est la question que semble poser le dernier livre, "Quartier Rouge ", du philosophe Michaël Foessel. Dans ce nouvel essai, il montre le pouvoir politique du plaisir, des occupations joyeuses d'usines à la colère suscitée par la fermeture des théâtres et des bars lors des confinements.
La gauche progressiste est en effet accusée d'être de plus en plus moraliste et ascétique, entre obligation de modération à l'aune de la crise climatique et souci de l'auto-critique face aux minorités. La droite hédoniste aurait pris la défense du plaisir.
L'auteur montre qu'il est devenu urgent de réfléchir à nouveau sur la dimension émancipatrice du plaisir. En effet, on a aujourd'hui tendance à porter une attention de plus en plus exclusive à la souffrance ou au désir comme origine de la critique sociale. Or le plaisir a une vraie valeur politique. Il permet au discours de rejoindre le réel.
Le plaisir devrait donc redevenir un enjeu pour la gauche. Ses principes n'ayant plus d'effet dans le réel. le parti socialiste a en outre abandonné la promesse que portait son emblème - le poing et de la rose dont les épines servent d'avertissement : le plaisir et la joie ont le pouvoir de subvertir l'ordre établi. Un pouvoir de subversion et d'émancipation du plaisir qu'il faudrait réhabiliter aujourd'hui, à l'heure où le capitalisme prétend avoir formaté notre bonheur.
Olivia Gesbert invite à sa table Michaël Foessel, philosophe et professeur à l'Ecole polytechnique.
#philosophie _____________
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