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Critique de boudicca


C'est à un petit voyage dans la France de 1938 que nous invite Michaël Foessel avec ce livre paru aux Presses universitaires de France en mars dernier. Philosophe de formation, l'auteur ne prétend aucunement proposer une analyse historique de cette époque. Il s'agit plutôt de nous raconter sa propre découverte de l'année 1938, dont il a été frappé par le grand nombre de similitudes qu'elle partage avec ce que nous vivons actuellement en France. L'auteur met les choses au clair dès le début : il ne s'agit pas d'affirmer ou de démontrer que nous sommes actuellement en train de revivre les années 1930, ni que ce qui s'est passé à l'époque nous pend au nez. le but est plutôt de tenter de comprendre les phénomènes qui rendent possible que, à quatre-vingt ans d'intervalle, ces deux situations aient autant en commun. Bref, si pour l'auteur 1938 n'équivaut pas à 2018, l'analogie entre les deux époques est frappante (« L'analogie est une manière de mettre en garde contre la récidive, tout en gardant raison. »).

Difficile effectivement, en se penchant d'un peu plus près sur cette époque, de ne pas être frappé par les similitudes entre 1938 et 2018, que ce soit dans le domaine de la politique, de l'économie ou du social. L'auteur résume cela parfaitement dans sa conclusion : c'est un peu comme si l'année 1938 condensait en quelques mois seulement les évolutions que nous voyons actuellement à l'oeuvre depuis plus d'une décennie : « radicalisation conservatrice camouflée par une idéologie post partisane ; triomphe des solutions libérales en pleine crise du libéralisme ; perception des procédures démocratiques comme un obstacle à la mise en oeuvre d'une politique efficace ; renforcement du pouvoir exécutif ; multiplications des lois sécuritaires ; restrictions dans la politique d'accueil des réfugiés ; stigmatisation d'une minorité religieuse à la faveur d'une « guerre » officiellement déclarée contre ses membres les plus fanatiques. » L'état de la IIIe République des années 30 semble être approximativement le même que celui de notre Ve République, toutes deux prétendant défendre la démocratie contre ses ennemis en empruntant justement leurs armes… et en se montrant du coup de moins en moins démocratiques.

Si l'ouvrage n'est pas historique, il s'attache néanmoins à nous dépeindre les principaux événements de l'époque, certains plus célèbres que d'autres : l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne (mars), le remplacement de Léon Blum par Daladier (avril), la conférence d'Evian (juillet), les accords de Munich (septembre), le vote des pleins pouvoirs à Daladier (octobre)… Tous ces événements, c'est par le biais de la presse de l'époque et de l'analyse qu'elle en propose que l'auteur les découvre et nous les fait découvrir. Grâce aux archives en ligne, Michaël Foessel épluche aussi bien les journaux d'extrême-droite que ceux des modérés (la droite de l'époque), des radicaux (centre gauche ou droite en fonction des périodes) ou des communistes (une partie de la gauche). Certains sont aujourd'hui encore très connus (Marianne, Le Figaro, L'Humanité), tandis que d'autres ont disparu ou ont été oubliés, parfois pour le meilleur (Le Temps, le Petit Parisien, et bien sûr le nauséabond Je suis partout). Là encore, il est frappant de constater à quel point 1938 fait échos à ce que nous vivons aujourd'hui, notamment dans le domaine du langage et des thèmes traités par la presse et les politiques : il est question de « remettre la France au travail », de lutter contre les « fausses informations » qu'on attribue à des puissances étrangères, ou encore de la nécessité de « flexibiliser » le monde du travail.

L'auteur opte pour une construction thématique plutôt que chronologique, ce qui lui permet de mettre clairement en lumière la succession de renoncements qui se sont opérés au cours de cette année 1938. La défaite de Blum, d'abord, qui se voit refuser par le sénat les moyens pour mettre en place sa politique de sortie du libéralisme. La défaite des partis, ensuite, avec l'effondrement du Front populaire et la radicalisation des autres mouvements (à commencer par les radicaux qui se rapprochent définitivement de la droite). La défaite sociale, aussi, avec la liquidation des acquis de 1936 et la mise en place d'une politique encore plus libérale (alors que le libéralisme est justement en pleine crise). La défaite de la République, encore, avec la montée de l'autoritarisme, le renforcement du pouvoir exécutif (Daladier ne gouverne presque plus que par décret-loi, l'équivalent des ordonnances d'aujourd'hui : l'assemblée n'a plus aucun pouvoir), et surtout la diffusion d'une vision de la démocratie parlementaire comme d'un obstacle à la mise en place d'une politique efficace (trop de lenteur, trop de débats…). Une défaite morale, enfin, avec un durcissement de la politique d'accueil des réfugiés et la promulgation de toute une série de lois sécuritaires qui participent à instaurer un climat hostile et à inciter l'opinion publique à rapprocher problèmes sociaux et angoisses identitaires.

Mis à part dans son avant-propos et sa conclusion, l'auteur s'en tient aux années 1930 et ne parle jamais de la situation politique et économique actuelle : il n'en a pas besoin. Les similitudes entre les deux époques sont tellement criantes qu'évoquer les événements de 1938 suffit à ce que le lecteur fasse immédiatement le lien avec aujourd'hui. Encore une fois, le but n'est pas de dire que l'histoire est amenée à se répéter et que les choses vont se passer de la même manière : ce n'est pas du tout le message de l'auteur. le propos de l'ouvrage consiste simplement à nous faire remarquer que les deux situations présentent une analogie troublante et qu'il serait intéressant de se pencher sur les phénomènes qui ont rendu ce rapprochement possible à quatre-vingt ans d'écart.
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