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Critique de Michel69004


L'absence selon Michel.

Ce livre m'a cueilli, je ne m'y attendais pas.
D'abord parce qu'il se trouve dans un continuum parfait avec mes précédentes lectures : Vallée du Silicium et l'Hypothése K.
Ensuite parce qu'il rentre en résonance avec ce que j'appelle "La transparence selon Babelio".

Je m'absente donc régulièrement de Babelio, ce qui n'est pas le cas de tout le monde. Je le fais avec une certaine culpabilité et je commence, grâce au livre de Benjamin Fogel, à comprendre pourquoi.
L'Absence selon Camille est un livre à double entrée: un polar dystopique et un essai de philosophie politique.
C'est le troisième livre d'une trilogie.
Disons le tout net : si l'on n'a pas lu les deux précédents (La Transparence selon Irina et le Silence selon Manon), la trame narrative reste un peu confuse malgré les retours en arrière et les rappels implicites. Nous sommes en 2060. Les clivages politiques traditionnels ont éclaté.
Pour prendre des mesures écologiques radicales et grâce aux progrès de la technique, on a changé radicalement la donne. En Occident, l'obédience à la transparence a remplacé le capitalisme. La centralisation des données confère aux gouvernements les indicateurs nécessaires pour contenir les crises écologiques et superviser la décroissance. Grace à l'IA, aux algorithme et à la robotique, cela fonctionne. Tous les individus sont "pucés". Ils sont alors identifiés, touchent un revenu minimum universel et doivent se connecter au Réseau pour avoir accès à tout : nourriture synthétique amenée par drone, jeux, indice de popularité, communication etc. La vie se passe donc essentiellement en ligne. La vraie vie perd de son intérêt, les transports sont limités, le réchauffement climatique n'incite pas à sortir etc. On peut cependant aller faire un tour dans la vraie vie pour aller boire un coup ou aller danser. le réseau est soumis à une règle d'or : la Transparence. Toutes les données sont accessibles publiquement. Toutes ou presque, c'est là où se déroule le jeu politique.
Sur le Réseau, on utilise son vrai nom, tout le monde connait les données bancaires de son voisins etc.
Dans la Réalité, tout le monde est sous pseudo et sort masqué par des modificateurs faciaux.
Tout cela fonctionne : seuls vingt pour cent de la population travaillent, ceux qui veulent travailler plus gagnent plus, plus le travail est pénible mieux il est payé, il n'y a plus de délinquance qu'en ligne, on a fermé les frontières de l'UE (Frontex tire à vue), la végétation et la faune reprennent leurs droits.
Mais tout le monde n'est pas d'accord : il y a ceux qui veulent plus de transparence (traçage des déplacements et transparence obligatoire dans la réalité) et ceux qui en veulent moins (retour de l'anonymat en ligne).
À l'extrême gauche Russel Jim Devoto, chef des "Obscuranets" mouvement révolutionnaire et clandestin. À l'extrême droite Sebastien et Holly Mille, flics de choc.
L'intrigue, complexe, met en scène les uns contre les autres à travers une foultitude de personnages, d'histoires d'amour et de trahison, de transidentités, de secrets de famille etc.
Je vous grâce de tout ça malgré la grande cohérence du récit, aussi ramifié soit-il.

Ce qui m'a vraiment plu, c'est le contexte politique que je trouve largement plausible. À droite toute ceux qui rêvent d'une société où l'on ne pourrait rien cacher à autrui et à l'État, à gauche ceux qui valorisent une transparence modérée et ceux qui demandent une contribution consentie aux bases de données mondiales.
Je rappelle que dans cette France de 2060 sauvée de l'écocide, le Réseau constitue la seule vie qui vaille d'être vécu. Les algorithmes permettent de trouver le/la/iel partenaire idéal grâce au taux de compatibilité. le vote par valeur pondérée a remplacé l'obsolète scrutin majoritaire à deux tours. Chaque vote est rendu public. Il y a donc zéro risque de voir arriver au pouvoir un politicien détesté par 49 % de l'électorat.

Bon je vois bien que vous ne trouvez pas cela crédible. Pourtant beaucoup de politologues, de sociologues pensent que c'est une occurrence plausible.
Benjamin Fogiel nous propose une bibliographie alléchante ( "Ma santé, mes données" de Coralie Lemke ou "Le Temps de l'ironie: Comment Internet a réinventé l'authenticité" de Alexandra Profizi par exemple).

Et puis il y a un questionnement passionnant sur la notion d'identité.
Du coup, à bien réfléchir dans cette semaine de vraie vie, je suis assez d'accord avec l'un des héroïnes de cette saga.
Elle se nomme Irina Loubovsky et a une conversation avec Camille Laville ( personnage intersexué, figure de la télé-réalité et influenceur-e XXL). En voici un passage:

-IL : J'essaye d'avoir une discussion constructive avec toi.
Merci de ne pas y glisser ta rhétorique anarchiste. J'attends mieux de toi. La transparence s'oppose à l'apparence, à la fausseté, aux obstacles qui nous écartent du vrai. La transparence, ce n'est pas mentir sur soi-même, c'est travailler sans cesse sur l'accord entre être vu et voir, c'est une lutte permanente contre les mensonges qu'on raconte aux autres et à soi-même. le Réseau qui centralise les données rend possible cet exercice de vérité, de conformité et de cohérence. Quand nous mentons, l'algorithme sait que nous nous éloignons de notre personnalité, que nos réactions et informations communiquées sont fausses. Il peut alerter notre entourage et les gens qui parcourent notre profil. le Réseau traque les fake news sur nous-mêmes que nous produisons à notre insu.
- CL : Je vois ce que tu veux dire. le Réseau ne permet pas de se connaître soi-même, mais reste une synthèse, plus proche du vrai moi que l'être bancal qui émerge après des années d'analyse sur le divan d'un psy.
- IL : Dans l'autoportrait que l'on réalise aux côtés d'un psychanalyste, on ne livre qu'une version de soi-même à l'instant t. L'autoportrait fige, constitue une version limitée.
Alors que notre moi numérique est un référentiel stable. C'est notre personnalité réelle qui est un autoportrait de notre moi numérique. Voilà pourquoi l'identité dans la vie réelle n'a pas sens, que seule compte la vie sur le Réseau.
- CL : Je ne cherche pas à te provoquer, mais n'est-ce pas notre moi sur le Réseau qui est un fantôme de notre moi réel ?
Une trace laissée en ligne dépourvue de vie, de spiritualité et de la capacité de réinvention perpétuelle qui fait la force des humains ?
IL : Ne sois pas stupide, Camille. Effacer volontairement une partie de sa personnalité, ce n'est pas faire évoluer son soi, c'est le corrompre. Là où se connecter en ligne, c'est se révéler.

Alors que faut-il penser?
La vraie vie au risque de la sixième extinction de masse ou la vie virtuelle sur Babelio et bientôt sur le Réseau, en toute transparence…
Pour ma part, j'ai choisi.
Et vous ???
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