AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Leo38000


Le dernier roman en date de Philippe Forest est une fable savante et drôle. Très émouvante aussi.

Une fable ou un rêve. Un trompe l'oeil. Comme ces tableaux où suivant une rivière qui descend paisiblement vers la vallée, on se retrouve au sommet d'une cascade bouillonnante.

Un pur condensé de littérature. En tout cas de ce que je considère comme littérature.

Répondant à l'appel au secours trouvé dans une confiserie servie avec son café dans un restaurant chinois où il déjeunait, d'une jeune fille retenue prisonnière, le narrateur nous emmène en Chine.

La Chine est un pays où il est souvent allé mais qu'il avoue ne pas pouvoir comprendre ni connaître, tant tout y est à une autre échelle.

La Chine est indéchiffrable pour lui, mais ses romanciers écrivent des livres qu'il aurait pu lui-même écrire, ou donnent à leurs livres des titres qu'il a déjà lui-même attribués aux siens, bien après eux certes, mais bien avant qu'il ait eu connaissance de leurs oeuvres.

Après ou avant cela n'a d'ailleurs pas d'importance puisque c'est à partir du présent que chacun façonne son passé. Ce sont les événements d'aujourd'hui qui nous permettent d'inventer les signes prémonitoires d'hier.

Le roman se termine à Paris, à deux pas du domicile du narrateur, dans un quartier chinois où se déploie une Chine de pacotille, donnant donc à voir et à comprendre la Chine mieux que ne le ferait le meilleur sinologue.

En poussant plus avant qu'à l'accoutumée sa promenade, le narrateur se retrouve dans un quartier qu'il connaît bien. Il reconnait un endroit qu'en son temps il fréquentait régulièrement (dont je ne dirai rien de plus pour ménager la surprise) mais qu'il situait tout à fait à l'opposé de chez lui. Un peu comme le narrateur de « la Recherche du temps perdu » découvre que le côté de chez Swan et le côté de Guermantes se rejoignent.

Et un peu comme le narrateur de Marcel Proust, à la toute fin de l'oeuvre, décide d'écrire le roman qu'il se croyait incapable de réaliser, et que nous venons de lire, le narrateur de Philippe Forest entreprend de nous raconter cette histoire qu'il vient d'inventer, pour la faire advenir.

Comment ne pas penser à Aragon et à son « les incipits où je n'ai jamais écrit à écrire » où, racontant sa vie, il nous explique qu'il a commencé à s'intéresser à l'écriture quand il a compris qu'il pouvait écrire pour raconter des histoires…

Le récit se déroule et s'enroule, pour se dérouler à nouveau, dans une langue simple et claire qui en sert remarquablement la complexité et la malice.

Ces tours et détours, ces déambulations sans logique apparente, nous éblouissent par leur savante construction, nous amusent par leur humour, nous émeuvent par leur sincérité, et toujours nous replacent face à nous-mêmes, quand une dernière boucle se dénouant, nous découvrons son propos intime, comme on découvre au détour d'un sentier de randonnée un paysage que l'on trouve d'autant plus beau qu'il était inattendu.

Dans ce roman un théâtre d'ombres chinoises fait advenir la réalité ; silhouettes, symboles et images représentant, mieux que des acteurs réels ne le feraient, les disparus dont l'absence nous laisse inconsolés.
(Comme dans un autre roman un chat découpant sa silhouette sur les rideaux du salon, glissant entre deux mondes, laissant son image « ondulée » sur les plis du rideau, avant de disparaître à nouveau, incarnait l'âme d'une fillette disparue prématurément.)

Car c'est bien cela qu'il s'agit d'affronter encore : la disparition dont rien ne console, le trou béant qui ne se referme jamais, l'absence que rien ne peut compenser.

La littérature comme seule moyen pour dire l'indicible ; le roman comme seul outil pour inventer la réalité.
Commenter  J’apprécie          80



Ont apprécié cette critique (6)voir plus




{* *}