Une nonne est là pour servir Dieu ; les financiers sont là pour servir les Marchés.
En bref, il faut bien l'avouer même si cela est un peu embarrassant : les savants de la communauté compétente - les économistes ne savent pas précisément ce qui produit ou provoque de la croissance.
Le résultat est saisissant : de la même manière que les chrétiens les plus convaincus rejettent plus probablement l'évolution darwinienne à mesure que leur culture scientifique est forte, les agorathéistes les plus convaincus rejettent plus probablement la réalité du réchauffement anthropique à mesure que leur culture scientifique est élevée.
Comme le firent Dennis Meadows et ses acolytes après eux, ces savants commettaient un insupportable crime d'hérésie : celui de repenser la Terre, avec le concours des sciences expérimentales, en la débarrassant d'une vertu indispensable au Marché, et à la poursuite de sa satisfaction par le truchement de la croissance : son infinitude. Pour comprendre cette optique, il faut remonter le temps de quatre siècles et demi, et en découvrir le premier exemple, lorsque Nicolas Copernic repensa la Terre, avec le concours des sciences expérimentales, en la débarrassant d'une vertu indispensable à la doxa chrétienne : sa centralité dans l'univers.
La croyance profonde qui sous-tendait cette ambition est précisément issue de la doxa agorathéiste. Peu importaient les structures (religieuses, tribales, ethniques, politiques) de la société irakienne, ou l'histoire du pays et de la région : les hommes n'étant rien d'autre, ou rien de plus, que des entités individuelles ontologiquement rationnelles avant tout préoccupées de maximiser leur intérêt propre, un système démocratique harmonieux fondé sur le marché allait pouvoir spontanément émerger.
Le caractère abyssal de l'hiatus entre ce à quoi devrait aspirer tout bon chrétien et ce à quoi aspire tout Américain se réclamant par ailleurs de l'enseigne ment du Christ est proprement fascinant.
Entre 2005 et 2013, le taux de chômage est passé de 13% à 7.7 % de la population active. Mais quid d'autres indicateurs ? Le taux de pauvreté, par exemple, montre que sur la même période, la proportion de pauvres a bondi en Allemagne, pour passer de 12,2 % à 16,1 %. Plus impressionnant encore : les courbes d'évolution du chômage et de la pauvreté apparaissent quasiment anticorrélées.
L'hypothèse du cynisme peut, sans doute, être écartée au profit d'une autre interprétation : en réalité, les chefs d'État et de gouvernement, bien qu'investis de la plus haute forme de légitimité possible, ne peuvent pas agir sur la question climatique. Cette vérité inavouable, on la pressent confusément, malgré sa formidable étrangeté. Que des hommes et des femmes en capacité de déclarer la guerre, d'user légalement des formes de violence les plus brutales, ne puissent s'attaquer à la plus grave question de notre temps semble difficilement explicable.
La foi agorathéiste prend sa source dans l'économie, mais ses effets se font sentir bien au-delà de la sphère marchande.