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Critique de vibrelivre


Génération offensée
Caroline Fourest
essai, Grasset, 02/2020, 162p


Caroline Fourest est née à Aix-en-Provence, d'une famille bourgeoise. Elle a fait des études d'histoire et de sociologie à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. C'est une figure médiatique depuis les années 2000. Elle est journaliste, essayiste et réalisatrice. C'est une polémiste redoutable mais controversée. Les photos montrent une jeune femme à l'oeil vif, très vif, et au regard espiègle.
Dans l'essai qui nous intéresse, C. Fourest dit clairement d'où elle parle. La question, D'où tu parles, camarade ? était posée en 68 à tout orateur qui exposait ses thèses, selon la logique marxiste, selon sa construction sociale. C. Fourest parle en tant qu'homosexuelle qui lutte pour le droit d'aimer qui on veut sans se soucier des genres, universaliste, partisane d'une gauche républicaine, une ancienne collaboratrice de Charlie Hebdo qui continue leur combat pour la liberté d'expression. J'ajouterais qu'elle est, comme Michel Foucault, une artificière qui veut qu'on puisse avancer, qui veut faire tomber des murs.
Caroline Fourest parle des jeunes des Etats-Unis, mais ce qui se passe Outre-Atlantique peut se passer en Europe -elle l'a du reste expérimenté en Belgique- et en France. C'est donc une mise en garde que nous lance l'auteure qui nous rappelle qu'on doit toujours être vigilant, et même à l'affût, en ce qui concerne l'égalité et nos libertés. Nous qui vivons la crise sanitaire sommes à l'affût.
D'un côté, il y a les racisés, les personnes de couleur, les minorités, et de l'autre il y a les Blancs, ceux qui détiennent les privilèges, et en tant que tels, n'ont plus le droit de parler et doivent même dans certaines universités décliner leur identité le jour de la rentrée perdant ainsi toute autorité. Certains se déclarent même honteux d'être Blancs. Ils se prêtent à cette mascarade par peur de perdre leur emploi. En Belgique, certains universitaires sont tellement timorés qu'ils se laissent insulter par leurs étudiants et bâillonner. A la Sorbonne, des étudiants racisés, au nom de l'antiracisme, interdisent la représentation des Suppliantes pourtant programmée quand se pose la question des migrants. Mais des étudiants noirs se sentent agressés parce que les acteurs ont noirci leurs visages pour distinguer les Egyptiens des Grecs, ou même ont porté des masques noirs ou blancs, comme on le faisait dans l'Antiquité. Ils ont crié au Blackface au lieu de réfléchir à ce que disait la pièce. Nouveaux inquisiteurs, ils censurent la culture. Et ils sont de gauche, d'une gauche identitaire et victimaire, eux qui se comportent en tyrans revanchards, de cette gauche qui creuse l'ornière séparatiste, et qui fait le lit d'une droite extrême. Ils comportent dans leurs rangs de jeunes Blancs radicalisés qui veulent faire oublier leurs privilèges. Est-ce que ce n'est pas sottement tendre le bâton pour se faire battre ?
Aux Etats-Unis, les professeurs doivent prévenir que leur cours contiendra quelques sujets offensants, par exemple le suicide d'Antigone, ainsi les étudiants qui pourraient se sentir fragilisés peuvent s'abstenir de l'enseignement et se réfugier dans des safe spaces. A la cantine, on sert un plat vietnamien, qui ne l'est même pas vraiment. Haro sur l'appropriation culturelle. Et comble du ridicule, on découvre que les ex-colonisés l'ont emprunté aux colonisateurs. Au Canada, certains jeunes ne veulent plus faire de yoga, qui pourtant permet d'atteindre la clarté mentale, au prétexte qu'il appartient , alors qu'il est de vocation universelle, à une culture minoritaire. Plus grave, le féminisme, au nom de l'intersectionnalité, déclare que l'acte de pénétration sexuelle n'est un viol que s'il est perpétré par un Blanc. Il n'est pas bon qu'une Musulmane accuse un Musulman. de même l'excision est acceptée comme norme sociale d'une communauté. Indignez-vous, prôna Stéphane Hessel, comme s'il fallait l'attendre pour s'indigner, pour reprendre l'idée sartrienne d'engagement personnel et encourager l'esprit de résistance. Aujourd'hui les jeunes qui n'ont encore rien vécu d'atrocement grave, ne supportent plus rien. Les gants sont jetés et l'on ne combat pas, on dénonce, et on se replie sur son identité entre microminorités, spécialisant les différences.
Caroline Fourest croit au dialogue, au débat. Il faut tirer ces jeunes, qui veulent apprendre, de leur ignorance. Par exemple il faut leur parler du port du voile pour qu'ils sachent et parlent ensuite en connaissance de cause. Il faut confronter les idées. Il faut comprendre les points de vue, accepter la contradiction. L'essayiste revendique un enseignement progressiste. Il faut sortir de l'exacerbation des identités, et d'une ultra-sensibilité, comme si l'on devait vivre dans des mini-mondes bisounours, qui est une impasse, éviter le repli sur soi que préconisent les conservateurs de droite, lutter pour que règne l'égalité entre tous, et que vivent la culture qui élève l'homme et la liberté qui le fait vivre dignement.
On peut reprocher à son essai de n'être pas structuré assez fermement, ce qui entraîne les redites, de trop reprendre le slogan la lutte des races, de ne pas chiffrer ces microminorités qui hurlent à l'offense, de ne pas assez parler des mesures effectives, légales et sociétales, pour mettre en oeuvre une égalité de fait, pour sauvegarder la liberté d'expression.
Cela dit, toute alerte est toujours bienvenue. Qu'on ne se laisse pas intimider et qu'on pare à la survenue de groupes qui s'enfermant dans leur groupe d'origine, étrangleraient la liberté d'expression, de création, empêcheraient le métissage qui enrichit l'art et l'être, rendraient moins pertinents les droits humains et moins forte la solidaire humanité face aux défis du monde.
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