Citations sur La vie en chantier (56)
Bientôt les premières brisés du soir entament leur descente depuis les sommets.
- Marnie, crie-t-il, réprimant un sanglot.
Puis, incapable de se retenir, il laisse le chagrin l'envahir, lui arracher les tripes et le vider de l'intérieur, le mettre sens dessus dessous. Ses côtes se contractent, son sternum se fissure. Il bascule sur le ventre et se roule en boule, le visage enfoncé dans le matelas, l'oreiller, étouffant d'énormes sanglots, trempant les draps. il sent Marnie l'envelopper dans ses bras et l'étreindre, comme elle le faisait de son vivant, comme s'ils ne pourraient jamais être assez proches.
L'avenir, c'est là où tu vas et tu n'y peux rien.
- Enfile tes plus beaux atours, lui crie Rudy depuis la cuisine. Tu pourrais même envisager une douche. On sort.
Il prépare des burgers et s'occupe de Midge, force Taz à enfiler des vêtements propres.
- J'imagine que t'as un plan, finit par dire Taz.
Il se lève et dépose les assiettes sur la paillasse.
- Boire un coup au club, rien de foufou.
- Et quoi ? On laisse Midge devant la télé ?
- Tu n'as pas de télé.
Taz regarde autour de lui.
- Alors elle vient avec nous ?
- Elle a besoin de sortir, elle aussi.
- Tu veux l'emmener dans un bar ?
- Elle n'est pas obligée de commander un verre, mais si elle reste enfermée ici tout le temps, elle va finir par ressembler à ces poissons qui vivent au fond d'une grotte.
Au lieu des pins ponderosa sur la colline, des trembles sur la berge, de leurs feuilles sous l'eau encore dorées, constellant le barrage des castors, il voit des troncs calcinés se détachant sur le bleu glacial du ciel telles des pointes de lances noircies.
Même les peupliers ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes, leurs doigts griffus se refermant sur du vide. La terre est carbonisée. Les étangs sont comme huilés, graissés. Il ne reste rien.
Certains voyages semblent interminables.
- Elle détestait les photos. Détestait que je les prenne. Détestait les regarder.
- Midge en a besoin...
- Ça la mettait mal à l'aise, poursuit Taz, la voix aussi tranchante que le verre du cadre. "Elles ne servent qu'une fois que tu es mort. Pour que tout le monde se rappelle à quel point t'étais cool." Voilà ce qu'elle disait.
Une fois, j'ai récupéré du vieux bois dans une distillerie du Tenessee. Des grosses poutres d'un mètre sur deux, encochées et mortaisées, qui servaient à retenir les tonneaux de bourbon. C'était tout un boulot, de réussir à les couper suffisamment pour pouvoir en faire quelque chose. Mais quand je m'y mettais, la vache, tout l' atelier embaumait...
Une odeur de whiskey, de caramel et de vanille. J'avais envie de les couper rien que pour parfumer l'atelier.
« Il jette un œil dans le rétroviseur, et l’atelier lui apparaît tout aussi menaçant et inenvisageable qu’avant.
À présent, le plateau du pick- up est chargé de chêne issu d’un vieux peuplement , bois vénérable abattu un siècle plus tôt à l’autre bout du pays, matériau noble qu’il aime toucher, caresser de ses mains et de ses yeux .
Il imagine les arbres, bras tendus vers le ciel , leurs branches agitées par une brise n’ayant jamais frôlé le sol »
Lorsque le futur marié lève le voile sur ses tempes délicates, je me dis qu'on devrait les prévenir : un avenir fait d'enterrements, d'emprunts automobiles, d'impôts et d'enfants malades la nuit. C'est un boulot que vous ne saurez pas faire, le bras nu enfoncé jusqu'au coude dans l'évier bouché, parmi les pelures d'aubergine brûlées à la dérive absurde.