Citations sur Le lac de nulle part (82)
Comme s'il avait lu dans mes pensées, Papa, la seule personne que je connaisse capable d'imiter le huard à la perfection, lance un cri, trop tard dans la saison pour être réel. Je le ressens jusque dans mes os. Lorsqu'il se tourne, le sourire aux lèvres, je brandis ma pagaie.
- A nous les contrées sauvages ! hurle-t-il.
« Certaines personnes ne valaient pas la peine qu’on les quitte. » (p. 278)
À l'époque, j'étais sûr que Maman et Papa savouraient ces quelques instants de tranquillité, la petite goutte, les fauteuils de camping, l'odeur de la fumée de bois pendant que leurs enfants sauvages batofilaient sur l'eau. A présent, je me dis que nous étions peut-être la seule chose qui les liait encore. En grandissant, nous les avons laissés en tête à tête, avec nulle autre occupation que de regarder se creuser les fissures qui étaient apparues entre eux.
Peut-être est-ce la faute aux étoiles qui, aussi belles soient-elles, vous donnent le sentiment d'être insignifiant. Ce vaste univers qui se fiche éperdument de vous, de la glace qui risque de vous piéger, des bourrasques arctiques prêtes à vous transpercer, de la neige qui menace de vous ensevelir, de la troupe de boy-scouts qui pourraient débarquer sur la plage une fois l'été venu pour trouver deux tentes en lambeaux, trois cadavres grisâtres en état de décomposition avancée.
"Une aventure ?" Comme Papa, à la Gandalf. "Une quête ?" Hilares, on s'est demandé à quoi ressemblerait un mois dans un canoë en sa compagnie. Si Al paraissait dubitative, nous étions tous deux grisés à l'idée d'être à nouveau réunis. Nous avons voulu compter les années écoulées depuis nos dernières retrouvailles puis nous avons laissé tomber - peut-être valait-il mieux ne pas savoir.
Je me demande combien de kilomètres nous allons parcourir aujourd'hui, combien de lacs nous allons franchir. Ils sont si nombreux, si indissociables, qu'au bout d'une heure, je ne sais plus de quoi je me souviens. S'agit-il d'une journée en particulier ou d'une boucle continue, une succession ininterrompue de pins, d'eau, de granit, de hauts-fonds et de racines vers lesquels j'ai pointé la proue à la recherche de poissons ? Où Al et papa ont-ils fait une touche ? Quel lac papa a-t-il appelé Lonely Lake en premier ? Quel jour était-ce ? Je donnerai n'importe quoi pour avoir une carte regroupant ce puzzle en un tout cohérent, mais je n'ai que des pièces éparses, et aucun modèle auquel me référer.
Le vortex tourbillonnant, c'est ainsi que Maman appelle mes transes, quand je me soustrais au monde, happé par mes pensées.
Ça fait quoi, de vivre dans le vortex ? D'imaginer toujours le pire ?
Non pas qu'elle ait son mot à dire, empêcher Bill de partir à l'aventure étant aussi facile que d'arrêter un train en se couchant sur les rails.
Au nord, le ciel continue de pulser, illuminant la voie qui mène aux dieux.
- Être ensemble comme avant. Tous les trois dans la nature. Merde, Trig, une aurore boréale, quand-même !
Il laisse sa main sur mon épaule; ensemble, nous regardons les premières pulsations vertes de l'aurore boréale promise.