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Critique de SophieChalandre


Comme dans sa grande fresque Terra Nostra, Carlos Fuentes aspire dans cette fiction historique Les deux rives à une lecture renouvelée de l'Histoire de la conquête du Mexique par Cortés pour faire naître une nouvelle réalité verbale, occultée par le discours historique officiel issu des chroniques de certains conquistadores, bannissant une mémoire univoque assise sur les mythes identitaires mexicains pour en faire émerger une autre plus ouverte et plurielle.
Depuis sa tombe, Jerónimo de Aguilar, protagoniste témoin de la conquête, raconte comment, après avoir vécu des années avec les indigènes, il sert d'interprète à Hernán Cortés dans la conquête du Mexique, mais dans le but de faire échouer son entreprise, avec toute la subjectivité de sa mémoire. En tant que traducteur, il est en concurrence avec La Malinche, indigène exclue de sa communauté, également interprète de Cortés, mue par des intérêts contraires à ceux de Jerónimo de Aguilar.
Plus que de trahison de son propre camp culturel, il s'agit pour l'auteur de dévoiler le pouvoir de la parole comme outil de domination et de sa capacité à travestir les faits et à servir des intérêts.

Le moi narrateur témoin des faits, Jerónimo de Aguilar, est un pur dédoublement : personnage historique mineur dans L Histoire officielle du Mexique, il devient personnage fictif majeur à la fois narrateur réflexif et protagoniste actif, permettant un regard multiple sur cette violente conquête, rendant mouvante sa propre vérité, donc celle de toute chronique écrite par les acteurs de cette conquête.
Deux rives, deux mondes, deux cultures, deux langues, deux volontés de dominer et d'imposer sa propre rive, sa propre Histoire et ses propres mythes fondateurs, le tout sur un même territoire géographique avec une lutte pour le monopole de la parole, donc de la relation des faits qui deviendra officielle : le perdant de l'Histoire est celui qui n'a plus les mots pour la dire. Carlos Fuentes interroge ainsi la valeur du langage comme support référentiel de la mémoire.

Se positionnant entre ces deux rives, Carlos Fuentes use d'une intertextualité déclarée : s'appropriant les évènements d'une chronique rédigée en 1568 par le conquistador Bernal Díaz del Castillo et sa "véritable histoire de la conquête du Mexique", l'auteur n'hésite pas, pour remettre en cause le mot "véritable" du titre de Díaz del Castillo, à chahuter la chronologie historique, voire à s'éloigner volontairement des faits officiels, pour les trahir, les omettre ou les exagérer, semant le doute sur la relation d'un fait et son interprétation, pour offrir la possibilité d'une version renouvelée de la conquête du Mexique à partir d'un nouveau corpus textuel enfin respectueux du métissage qui a présidé à la naissance de cette nation et de son identité.
Lien : https://tandisquemoiquatrenu..
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