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Critique de RChris


Ce livre est déroutant, c'est un essai écrit par un psychiatre, chercheur qui plus est, un de ceux qui s'intéresse à la technologie et aux apports de celle-ci pour essayer de réparer les vivants et leurs cerveaux.
Les collègues de Raphaël Gaillard de l'université de Stanford ont ainsi réussi à apposer deux puces de 100 électrodes à un patient tétraplégique qui ne pouvait plus bouger.
Il put envoyer des signaux qui étaient décodés et convertis en lettres par l'ordinateur relié.
Le rythme de 18 mots émis par minute fut plus efficace que celui de Jean-Dominique Baudis dictant “le scaphandre et le papillon” par le seul mouvement dont il conservait la maîtrise : le clignement de son oeil gauche pour sélectionner la bonne lettre.
Il est déroutant car faisant défiler son propos sur l'augmentation de l'homme par la technologie, sa réalité, ses possibles, ses perspectives, ses effets indésirables et comment accompagner ce mouvement inéluctable… il conclut par l'apologie de la lecture.
Au final, cette introduction qui m'avait laissé interrogatif est ainsi éclairée :
“Le livre dont vous achevez l'introduction est tout autant l'exposé du problème posé par l'hybridation technologique que sa solution. Il vous suffit de lire.”

Mais avant d'en arriver à sa conclusion, suivons sa démonstration et accompagnons le développement de son essai.
Aurait-on trouvé la parade aux douleurs du membre fantôme ? Ce phénomène n'est pas marginal puisqu'il touche 90% des personnes amputées.
C'est un phénomène étrange puisqu'apparait une douleur émanant d'un membre qui n'existe plus et que cette douleur est rebelle aux traitements antalgiques et peut conduire au suicide.
Ayant dirigé un centre de rééducation réalisant des prothèses pour les personnes amputées, j'avais été interloqué par cette manifestation qui nous laissait démunis. Je découvre avec ce livre, qu'aujourd'hui, on peut traiter cette aberration.

En bon psychiatre, Raphaël Gaillard ne peut s'empêcher de se référer à Lacan qui fait la part belle au langage et au stade du miroir pour nous entraîner vers les personnalités narcissiques comme ce patient qui ayant monopolisé la parole pendant tout le repas s'inquiéta avant le dessert : “Mais assez parlé de moi, je vous écoute Messieurs, que pensez-vous de moi ?” !

L'auteur enchaîne les réflexions toutes intéressantes en soi, mais dont je ne percevais pas jusque là le cheminement car il fait parfois le grand écart comme quand il réhabilite l'électroconvulsivothérapie (ETC) stigmatisée sous le nom d'électrochocs dans le film : “Vol au dessus d'un nid de coucou” (1975).
Ayant gardé quelques préjugés sur la méthode, dont il dit qu'elle est beaucoup plus sécurisée, je lui laisse énoncer l'intérêt actuel du procédé : “L'ETC est extrêmement efficace dans la dépression, avec un effet secondaire : elle induit des troubles de la mémoire circonscrits à la période pendant laquelle elle est pratiquée. le plus souvent ce n'est pas gênant, cette période étant celle de l'incommensurable souffrance de la mélancolie.”

Concernant les traumatismes, il évoque le Propanol, un bêta-bloquant en cas de syndrôme de reviviscence de l'état de stress post-traumatique qui est indiqué associé à une technique psychothérapique - l'accompagnement de la remémoration du souvenir traumatique - réconciliant ainsi pharmacothérapie et psychothérapie, qui sont souvent opposées.
La technique psychothérapeutique EMDR (Eye Movement Desensitization and Reprocessing) est une recommandation qui consiste à provoquer des mouvements oculaires réguliers pendant que le patient fait le récit de son expérience traumatique.
Elle produit une diminution des émotions associées et est beaucoup employée.

“Les médicaments et les drogues qui rendent intelligents” ou “smart drugs” visent à modifier le fonctionnement de notre cerveau en augmentant nos facultés psychiques : caféine, cocaïne, amphétamines, cathinones, méthylphénidate, modafinil, adrafinil…

Les Français dorment en moyenne 6 h 42 par 24 heures, sachant qu'un tiers sont en dette de sommeil et accroissent les risques d'obésité, de diabète, d'hypertension et de risques cardiaques, attestant de l'importance du sommeil.
Quant à l'état hypnagogique, cet entre deux (pas tout à fait éveillé et pas encore endormi) a ses partisans : Thomas Edison expliquait ainsi pratiquer la sieste assis dans un fauteuil, des sphères métalliques dans les mains.
La chute de celles-ci à son endormissement le réveillait aussitôt, et il trouvait dans ce très court demi-sommeil l'inspiration pour ses multiples trouvailles.
(Tiens je fais parfois pareil, en tenant parfois un livre qui me tombe des mains, mais cela ne m'inspire pas pour autant la chronique du livre qui a chu ! )

L'Intelligence Artificielle (IA) et ChatGPT, et leurs limites, prennent une place importante dans ce livre.
Il passe également en revue “la frustration relative” produite par internet et la dévastation/manipulation des réseaux sociaux.
Je ne peux développer mais vous je laisse des extraits en citation.

Parvenu à ce stade de ma chronique, non sans avoir relevé l'effet collatéral qui est de m'avoir donné envie de lire Flaubert, je voudrais me montrer plus convaincant pour vous rapporter la démonstration de ce livre, mais il faudra pour cela que je relise cette somme d'informations, tant le raisonnement d'un psychiatre qui possède tout cet arsenal thérapeutique m'a surpris lorsqu'il conclut sur l'aspect fondamental de la lecture, cette maladie textuellement transmissible.
En attendant, je me contenterai de le citer :
“...il se pourrait bien que le livre soit le seul à même de nous conserver entiers dans cette puissante transformation par la technologie. Comme s'il était le garant d'une forme de continuité de l'homme. Il faut dire que l'écriture - et donc la lecture - est la grande affaire de l'humanité. Elle ne signe pas seulement le passage de la Préhistoire à l'histoire, elle constitue notre hybridation première. Un livre, de plomb ou de papier, c'est déjà une annexe de notre cerveau, une prothèse cérébrale, un hors-de-soi que nous acceptons de partager, et qui en retour nous transforme. En passant de la tradition orale à la tradition écrite, nous avons consacré cet objet comme réceptacle et comme don de nos savoirs, de nos identités. Il se pourrait bien que cette hybridation, l'écriture, porte en elle toute les autres. Il se pourrait bien qu'elle en soit la propédeutique.”

Ce livre est un outil qui éclaire notre route et nous augmente.
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