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Critique de EvlyneLeraut


Experte en littérature médiévale, Isabelle Garreau délivre un premier roman singulier, magistral et nécessaire. Il lève le voile sur la cause des femmes de 752 à nos jours.
Un fil rouge, tel un flambeau, un symbole, un talisman. Une dent scellée dans de l'ambre. Objet divinatoire, surpuissant, passeur et spéculatif, toutes, dans ce récit d'ombre et de lumière auront sur leur poitrine, au plus profond de leur coeur, ce filigrane spéculatif.
Nous déambulons dans un texte fragmenté qui va transpercer les siècles.
Elles sont des proies, des soumises, des sorcières jetées en pâture.
« Règne après règne, de Chilpéric en Chlodebert, une solide muraille de pierre enroba le vaste fief des moines et la chapelle Saint-Prou. Une église, peu d'années après, vint magnifier leur espace sacré ; ils la consacrèrent à sainte Barbe ».
Les chemins de traverse dénoncent les religiosités, le poids lourd des diktats d'une société ployée sous les croyances et l'importance du qu'en dira t'on.
L'atmosphère est gémellaire de l'écriture. Superbe et captivante, on est en plongée dans un récit sombre, engagé, aux multiples signaux.
Éléonore prend place. Après Aléa la guérisseuse, Mksheta la conteuse, Ygdrasil, de la Perse antique à la France, toutes sont le reflet des prismes de souffrances et de luttes parce que nées femmes. Éléonore est notre contemporaine et elle est la force des courages. le poids de l'adversité sur les épaules. La métaphore des diktats d'une société empreinte de préjugés, de faux-semblants. le loup est dans la bergerie.
Éléonore veut garder son libre-arbitre. Elle ne correspond pas à l'image lisse que ses parents les Bondouffle veulent d'elle. « Mme Bondouffle née Charité exerçait le métier de femme de notable avec zèle. Les réunions Yves Rocher et Tupperware battaient leur plein et instauraient de façon insidieuse l'illusion qu'il existait un contre-pouvoir féminin. Enfin ces rendez-vous servaient surtout à s'occuper car les maris avaient à faire ».
« Depuis peu elle s'était mise en tête d'assurer une formation religieuse aux élèves de l'école Jean-Jaurès, qu'à son grand dam n'enseignait ni la couture ni la morale ».
Conformistes, catholiques, épris de tradition, ils vont confronter leurs volontés éducatives face à la liberté de conscience de leur fille.
Pour Éléonore : « Sa propre pratique religieuse tenait davantage du marxisme, du mysticisme ou du péplum, et malgré les éblouissements des vitraux et la magie des encens, malgré tous ces mystères exotiques, s'abstenir de poser des questions, elle n'y parviendrait jamais ».
De fil en aiguille, ils vont envoyer leur fille à l'Institut Bonne-Dame-De-Soulages. Afin de protéger leur fille des vulnérabilités du monde et des risques de dérapages. Ils sont obnubilés par la foi, les conformismes. Ils sont sacrifier leur fille sur la marche d'une école particulièrement hypocrite. Ils désirent une fille sage, sans désirs, ni passions. le féminisme jeté en pâture comme du pain moisi. « Elles priaient, balayaient, faisaient la vaisselle et les cours débutaient. L'année 1982 n'avait pas encore quitté les années trente ». « L'après-midi, les pensionnaires pratiquaient le chant, la couture, le repassage. L'horticulture leur tenait lieu d'éducation physique et sportive ».
Éléonore va être confronté au père Vignemale. Il va l'agresser, la violer. Faire de cette jeune femme ployée sous les affres une proie condamnable. Justifier ses gestes de violence en faisant d'Éléonore un péché véniel au regard de l'église.
Il va l'enfermer. Elle va fuir. Emporter avec elle la sacoche de cuir cachée sous un mur glacé. Dans cette sacoche : « La splendeur de l'objet lui conférait une sorte de magnétisme. Les pierres disparates qui l'ornaient, émeraudes, rubis, améthystes, et saphirs, avaient chacune une forme particulière, dont les sertissages épousaient les courbes… L'astre pénétra tout entier dans le magma orangé. Une dent minuscule apparut en intaille sur la lune... ».
Elle fugue. Se terre. Survit. Elle rencontre dans son périple de ténacité des SDF, des marginaux, et comprend que c'est ici qu'elle aura son droit de réponse, son droit d'exister.
Ce roman de combat est à l'instar d'un conte. Et pourtant c'est le reflet des endurances lorsque l'on est une femme. La vie comme une bataille constante. Mais il y a la dent. Cette image révolutionnaire, cette pépite salvatrice et qui est tout au fond ce qu'une femme doit faire pour s'en sortir face à un monde puissamment oppressant et inégalitaire.
C'est un roman prodigieux, qui claque et ne laisse rien passer. Il est dans cette magie intrinsèque d'une histoire d'elles, d'ailes. Il pointe du doigt là où ça fait mal et ne cède rien face à notre contemporanéité qui vacille sous les différences.
Il souligne également combien la route est rude pour le féminisme. Vigilance toujours !
« La dent dure » est également l'emblème du coûte que coûte. le rocher de Sisyphe et l'image d'une femme résistante. Une dent, et le contre-pouvoir prend place. Admirable et judicieux. Publié par les Éditions Dalva.
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