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Critique de berni_29


Je rêvais depuis longtemps de revenir dans l'univers de Romain Gary. L'occasion vient de m'en être donnée grâce à une lecture commune. Ce fut donc Les cerfs-volants, son dernier livre paru l'année où il décida de quitter cette vie, acte ultime de liberté nous disent certains philosophes, et quelle étonnante facétie de le faire quelques temps après avoir évoqué cet objet enchanteur, vaisseau léger qui s'enivre d'azur et de vent comme si le reste ne devait plus exister... !
Les cerfs-volants, c'est tout d'abord la rencontre éperdue avec un poète du quotidien, Ambroise Fleury, dit le facteur « timbré ». Quand il ne distribue pas le courrier, il fabrique dans son antre secrète des cerfs-volants de toutes formes, dotés de multiples images, qu'il fait déployer plus tard dans le ciel de Normandie. Il est même devenu célèbre dans le monde entier.
J'ai adoré ce personnage original, a priori fantaisiste. C'est bien connu, certains facteurs ont beaucoup de fantaisie pour notre plus grand bonheur. Pensez au facteur Cheval, par exemple... Bref ! Ambroise Fleury est un poète comme je les aime, mais parce qu'il est aussi un rebelle, un rêveur illuminé, un objecteur de conscience, un pacifiste convaincu. Ah ! À propos de pacifisme, j'oubliais de vous dire, le roman débute en 1930...
Et puis, Ambroise Fleury a recueilli depuis longtemps sous son aile protectrice son neveu orphelin, Ludo, qu'il éduque comme il peut en lui transmettant ses idées et ses rêves. Bientôt on découvre que Ludo est doté d'une mémoire prodigieuse, c'est parfois bien utile, mais d'autres fois cela n'a pas que du bon... de cette mémoire qui ne lâche jamais prise, Ludo saura en faire un puits d'imagination...
Et puis un jour, à l'âge de dix ans, Ludo rencontre la petite Lila Bronicka, d'une famille d'aristocrates polonais perdus dans leur univers décadent et théâtral. Il en tombe éperdument amoureux... Ah, comme elle m'a agacé cette Lila... ! Mais je pense que j'aurais fait comme lui...
J'ai aimé ce roman, sa poésie, sa fraternité, son ironie mordante qui fait mouche...
Romain Gary, c'est le panache d'un autre temps, un panache peut-être un peu désuet, mais qui pose des mots avec tant d'élégance. Romain Gary, c'est un style...
J'ai aimé les cerfs-volants qui nous disent de monter haut et loin, vivre notre vie sans retenue. Je me suis enivré de la grâce et du mouvement qu'ils offrent, comme les pages de ce livre.
Plus tard, Lila et Ludo grandiront dans le fracas de la guerre... Pas forcément ensemble... La mémoire de Ludo et son imagination, convoquant Lila dans la pensée, seront ses premiers actes de résistance...
J'ai aimé voir certains personnages de ce roman se transformer peu à peu sous l'écriture de Romain Gary, chacun dans cette guerre effroyable fera son choix, ballotté comme il peut... Les aspérités de certains deviennent moins rugueuses et le côté lisse d'autres laisse brusquement entrevoir des interstices par où s'échappe une lumière faite de rêves et de désillusions.
Les années trente se déplient avec des bruits d'armées et de bottes noires au loin, un horrible moustachu qui vocifère là-bas, qu'on a eu tort de prendre au début pour un piètre caporal... L'Europe bascule peu à peu dans cette tragédie terrible. Heureusement, la Normandie semble si calme, si loin, havre de paix encore protégée de tout... Comment imaginer qu'un jour ces paysages se transformeront en boue sous un déluge de bombes...
Et puis il y a les cerfs-volants... Parfois ils prennent la physionomie De Voltaire, Rousseau, de Montaigne... C'est un acte de liberté et d'insoumission posé dans le ciel... Mais que peut faire une armée fragile de cerfs-volants aux allures humanistes face au désordre du monde et à la barbarie qui monte ?
Les cerfs-volants nous rappellent cruellement que la barbarie ne fut pas toujours du côté de l'occupant, surtout en fin de guerre lorsque l'épuration révélera les comportements choquants des résistants de la dernière heure.
La lecture de ce roman m'a rappelé un pan de mon histoire familiale, ma mère encore adolescente, dix-sept ans, éprise d'un jeune résistant dont elle tomba enceinte et qui fut fusillé par la Gestapo trois jours avant la naissance de soeur ainée...
Lisant les pages de ce roman, découvrant l'histoire de Ludo et Lila, j'ai pensé alors à eux deux, à cette histoire à la fois intime et universelle... Ils avaient sans doute à quelque chose près le même âge. Ah ! Comme j'aurais aimé que Roman Gary écrive leur histoire...
Comme celle de Ludo, je voudrais que ma mémoire demeure infaillible lorsque je pense à eux.
Le ciel est tellement immense, aussi immense que les seules pages d'un livre. Les cerfs-volants est un roman d'amour qui traverse cet azur et laisse derrière lui une magnifique lumière par-delà les guerres, les grillages et les barbaries...
Ce dernier livre de Romain Gary, c'est un peu comme le fil tendu d'un cerf-volant qui brusquement va se rompre un certain deux décembre 1980, l'âme d'un écrivain tirant sa révérence vers le ciel éthéré, toujours si haut toujours plus loin...
Merci à vous deux, Caroline (Caro29) et Sandrine (HundredDreams), cette lecture commune fut une joie dans l'échange très riche, elle est en harmonie avec l'esprit de fraternité qui habite ce roman.
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