Citations sur Les Loups de Riverdance, tome 1 : Lucas (23)
Il est ma boussole, mon nord et mon sud, le centre de mon univers.
Nous descendons déjeuner, puis décidons d'aller nous balader en forêt. La nature est magnifique, on dirait qu'elle déploie ses splendeurs de courtisane rien que pour nous deux, le ciel est d'un bleu cru, limpide, parfait, et les rayons du soleil flamboient dans les frondaisons irisées. Les feuillages s'illuminent comme des vitraux de tous les tons de roux, du jaune pâle du muscat au rouge dense et profond du sang, en passant par l'or et l'écarlate, des taches de lumière pure volettent entre les troncs sombres des arbres, et saupoudrent les herbes hautes du sous-bois. Cela sent l'humus, la riche et dense odeur de la terre, nos pas s'enfoncent un peu dans ce parterre élastique, il règne un silence étrange, bien loin de l'été, de cette cacophonie joyeuse des trilles d'oiseaux, des rires des jeunes loups et du chant des criquets. J'ai l'impression de marcher dans une cathédrale, une forêt cathédrale, un endroit presque mystique, et Marcus à mes côtés me semble comme un roi d'autrefois, tout droit sorti des légendes, nimbé d'or et de lumière. Je marche près de lui dans un silence religieux, et mon cœur s'envole vers le ciel.
Je continue ma fuite maladroite, je m'enfonce dans le quartier le plus délabré de la ville. Où que je sois, dans n'importe quelle cité, mon radar intérieur ne me fait jamais défaut, je flaire la misère, la crasse et l'abandon mieux qu'un chien de chasse.
Ces gens m'ont accueilli avec tant de gentillesse, de chaleur, et moi, tout ce que j'ai pu leur rendre, c'est un garçon battu, violé, tour à tour apathique et violent, une journée de disparition, une autre de garde à vue, et la grande scène finale, sang et destruction...Bravo Lucas ! Très mature, décidément. A moi tout seul, je vaut presque les dix plaies d’Égypte.
Il profite du mini-embouteillage devant le comptoir pour me lancer une œillade brûlante, ses yeux sombres chauds comme du chocolat fondu, et il ne m’en faut pas plus fondre aussi, enfin une part de moi, tandis qu’une autre durcit instantanément dans mon jean.
Le malheur qui forge les mauvais garçons est aussi le parfum qui attire leurs victimes, telles une plante carnivore, dans leurs rets cruels. Les plaindre, c’est déjà les aimer, et les aimer, c’est souffrir, car rien n’est plus contagieux que le malheur.
Marcus traverse le hall au pas de charge, plusieurs visages pointent du salon, ou de la cuisine, visiblement la meute est prévenue, et plusieurs loups sont venus voir le petit humain qui va jouer les Chaperon rouge.
« Dans l’intimité de la nuit, alors que lui me voit mais que moi je le discerne à peine, je sens qu’il a parlé plus qu’il ne l’aurait souhaité, mais ce n’est pas assez pour moi. Je voudrais qu’il me dise… qu’il me dise qu’il est fou de moi, qu’il désire me protéger, m’enfermer dans sa chambre, m’attacher à son lit, faire barrage de son corps… Oh oui ! »
« – Tu veux bien me montrer ton loups, Marcus ? lui lancé-je, l’air enjoué, mais la voix un ton plus bas que d’habitude.
J’entends un rire étranglé. Derek sans doute, qui a parfaitement saisi le double sens de mes propos. »
Je laisse faire, je laisse décider pour moi tous ceux qui se donnent la peine de le faire. C’est assez étrange pour quelqu’un comme moi, alors que seule ma volonté m’a permis de survivre, survivre aux prières, aux exorcismes, à l’orphelinat, à mon père, à la rue… Je ne sais plus où elle est, ce que j’en ai fait, j’ai dû l’égarer quelque part. J’ai démissionné de moi.
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