The True Death of Billy the Kid

Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre correspondant exactement au titre : la véritable mort de Billy le Kid. Il est paru sans prépublication, pour la première fois en 2014. Il s'agit d'une bande dessinée en noir & blanc, réalisée par Rick Geary, scénario et dessins, comptant 54 pages. Elle se termine avec une courte bibliographie de 6 ouvrages sur le sujet : ceux de Bob Boze Bell, Donald Cine, Mark Lee, Frederick Nolan, Robert M. Utley, Michael Wallis. Geary est l'auteur d'une série de 16 bandes dessinées sur des crimes célèbres du dix-neuvième et du vingtième siècle, allant de Jack l'éventreur à l'affaire du Dahlia Noir.

Chapitre 1 : le prisonnier. Les événements qui vont suivre se déroulent sur le territoire du Nouveau Mexique, en l'an de grâce 1881. Durant le mois d'avril, la prison du Comté de Lincoln accueille son prisonnier le plus célèbre. le jeune homme d'à peine 21 ans, occupe une pièce à lui tout seul, dans le coin nord-est du deuxième étage. Il a déjà porté de nombreux noms : Henry McCarty, Henry Antrim, Kid Antrim, William H. Billy Bonney, ou simplement le Kid. Ce n'est que dans les toutes dernières semaines que la presse l'a surnommé Billy le Kid. Il est assis sur une simple chaise, à côté de son lit, les poignets entravés par des menottes, les chevilles également entravées par des menottes. Il doit être pendu dans deux semaines : à quoi peut-il bien penser à ce moment ? Peut-être repense-t-il à sa vie et aux méfaits qui l'ont conduit jusqu'ici. D'après ce qu'il a pu être établi, Henry McCarty serait né en 1859 à New York dans le quartier irlandais pauvre en pleine effervescence. Sa mère Catherine McCarty décida d'emmener ses deux fils Henry et Joseph avec elle pour se diriger vers l'ouest. Après avoir traversé Indianapolis, Wichita et Denver, ils finirent par arriver à Silver City sur le territoire du Nouveau Mexique. Chemin faisant, les deux fils avaient gagné un beau-père qui s'empressa de les abandonner après la mort de leur mère en 1874.

Peu de temps après, le jeune Henry commença sa carrière criminelle à l'âge de 16 ans. Incarcéré pour avoir volé du linge, il s'échappa en se trémoussant à l'intérieur d'un conduit de cheminée. Pendant un temps, il a rejoint une bande de voleurs de bétail, menée par Jesse Evans. À la fin de l'année 1877, il se faisait appeler William H. Bonney, résidait dans le comté de Lincoln, et était officiellement employé par un jeune rancher anglais John Tunstall. Ce dernier se trouve impliqué dans une guerre de territoire pour le bétail, entre lui, McSween, Murphy et Dolan, appelée la guerre du comté de Lincoln. En février 1878, Tunstall est abattu à cheval. Ses hommes décident de le venger. le Kid participe au meurtre, dans une embuscade, du shérif William Brady et de son assistant dans la grand-rue de Lincoln, à la mort d'Andrew Roberts dans une fusillade, et la bataille de 5 jours dans Lincoln. Pendant deux ans, le Kid fait partie d'une bande organisée de voleurs de bétail et de voleurs de chevaux, opérant à partir de Fort Sumner, un ancien avant-poste militaire sur le Rio Pecos.

Le lecteur peut compter sur Rick Geary, habitué des reconstitutions historiques, pour réaliser un travail soigné et rigoureux. Celui-ci a pris l'habitude de raconter les faits plutôt que la légende, après s'être solidement documenté. Dans le cas présent, les témoignages de première main sur la vie de Henry McCarty sont quasiment inexistants, le principal étant le livre de Pat Garrett (1850-1908), le shérif qui l'a abattu. En fait s'il s'est un peu renseigné avant, le lecteur sait que la plupart des faits sont sujets à caution, y compris le témoignage de Pat Garrett, de nombreuses théories subsistant sur le fait que ce n'est peut-être pas le Kid qui a été abattu le 14 juillet 1881 à Fort Sumner, que l'identification de son corps ne repose que sur un unique témoignage sur lequel planent des doutes raisonnables. Ceci explique que le lecteur puisse avoir l'impression d'un ouvrage peu épais, manquant de matière. Il ne le lit quand même pas en cinq minutes, car l'auteur expose les faits dans chaque case sous la forme d'une ou deux phrases en dessus ou en dessous, ou dans des cartouches de texte. Il y a donc bien une reconstitution historique qui transparaît dans ce qui est raconté, et en arrière-plan dans ce qui est montré.

Le récit se déroule bien dans le far-ouest mythique, avec un hors-la-loi devenu une légende, une zone sauvage où les hommes font la loi à coup de revolver, parcourent les plaines à dos de cheval, dorment à la belle étoile, évitent le shérif, et règlent leur compte de manière définitive. le lecteur peut voir une partie de folklore dessiné de manière descriptive : les chevauchées, les cadavres gisant au beau milieu de rues en terre, le terrible noeud coulant de la potence, une petite ville vue du ciel avec son unique rue centrale, les bottes de cowboy, la roulotte bâchée à côté du feu de camp, l'étoile de shérif, etc. le récit s'inscrit dans l'histoire avec des dates explicites, ainsi que l'évocation de la guerre du comté de Lincoln. Il intègre plusieurs personnages historiques en plus du Kid : Pat Garrett (1850-1908) et ses deux adjoints Bob Olinger et James Bell, ainsi que les quatre propriétaires impliqués dans la guerre du comté de Lincoln.

Bien sûr, ce récit effectue également la reconstitution d'une vie. de ce point de vue, l'auteur s'en tient aux faits avérés et vérifiés qui s'avèrent être finalement peu nombreux. D'ailleurs le titre attire l'attention sur le fait que l'ouvrage se focalise sur les circonstances de la mort de Henry McCarty, seules les 10 premières pages étant consacrées à ses vingt premières années. Aussi bien en images que dans les cellules de texte, en se concentrant sur les faits, Rick Geary campe le jeune homme de manière peu flatteuse : un criminel et un assassin à qui l'on prête 21 tués en 21 ans. Mais s'il est curieux, le lecteur peut découvrir qu'en fait il n'en a vraisemblablement tué que 9, 4 seul et 5 en bande. Il mentionne également qu'il avait un certain succès avec les dames, et que par la suite la légende a pris le dessus alternant entre un Robin des Bois, un paria incompris ou encore un tueur sans pitié. En regardant les dessins, le lecteur se fait l'idée d'un jeune homme un peu paumé, pas vraiment un tueur sans pitié, pas vraiment un criminel endurci et calculateur, et pas vraiment non plus un génie du crime, juste un être humain façonné par une époque et par les circonstances. En le voyant agir, le lecteur ressent également l'impression de voir un individu sans beaucoup d'empathie, sans regret, réagissant comme il peut aux circonstances, sans plan à long terme. S'il connaît les oeuvres précédentes de l'auteur, le lecteur est également surpris par l'absence de recul, l'absence d'humour sous-jacent.

Du coup arrivé au terme de cette courte bande dessinée, le lecteur peut ressentir une forme d'insatisfaction : il n'y a que cela à raconter, pas beaucoup de faits concrets à se mettre sous la dent, juste un voyou qui se fait tirer dessus en plein de coeur, par un coup de chance, et un doute pas très convaincant sur l'identité du défunt. D'un autre côté, il se dit que la narration visuelle et les cellules de texte l'ont complètement convaincu que les faits se sont bien déroulés ainsi, que c'était bien l'état d'esprit de Billy le Kid à ces moments-là. Il lui faut tourner la dernière page pour prendre un peu de recul, et se rappeler que personne ne peut restituer avec certitude les intentions et les convictions intimes d'un individu, surtout quand il reste si peu de témoignages fiables. En fait Rick Geary ne s'arrête pas à ce niveau : il a sciemment choisi ce personnage de légende. Il met en scène ce qui est su de lui, ce qu'il est possible d'affirmer avec certitude sur Pat Garrett, et ça tient en une quarantaine de pages, avec une dizaine de plus au début pour exposer les éléments de contexte indispensables. le lecteur s'en trouve un peu décontenancé : la qualité de la reconstitution lui fait se demander comment une légende a pu naître sur une base aussi fragile, il n'est pas possible de percevoir ce qui a pu enflammer l'opinion publique à propos d'un vulgaire criminel. Il est possible de penser à sa jeunesse, à la rébellion contre un ordre établi par des propriétaires fortunés, et peut-être à sa réputation avec les dames. Pour le reste, il faut accepter que son évasion a marqué les esprits. La même question se pose pour la renommée de Pat Garrett, surtout en voyant que ses deux adjoints ne savaient pas à quoi ressemblait le fuyard, ne pouvaient pas l'identifier.

Alors que la cavale de ce hors-la-loi a été rendue célèbre en autres par le film Pat Garrett et Billy le Kid (1973) de Sam Peckinpah, ça fait tout drôle de voir sa vie réduite aux faits vérifiés et de découvrir ce qu'il y a derrière la légende. Comme à son habitude, Rick Geary effectue un remarquable travail de reconstitution, rendu presque invisible par la petite pagination, et par la banalité de la fin de ce criminel. Dans le même temps, le lecteur éprouve la sensation de d'une reconstitution solide, de pouvoir se projeter à cette époque, dans cet endroit, cette BD lui permettant de confronter la légende aux faits, et de s'interroger sur les mécanismes qui ont pu aboutir à une telle légende.