Je m'appelle Leon Randolph Jackson. J'ai onze ans. Je suis noir et je suis bleu.
Noir, c'est ma couleur du dessus : la couleur de ma peau. Bleu, c'est ma couleur du dedans.
Oh ! bien sûr je ne suis pas bleu tout le temps. L'âme, c'est comme un caméléon : ça change de couleur à tout bout de champ. Ma mère dit souvent que la vie nous en fait voir de toutes les couleurs. L'âme est capable de prendre l'une ou l'autre des couleurs de la vie. Parfois plusieurs à la fois. Ça peut faire un joli tableau quand le mélange est réussi...
Nous n'oublions jamais de rire. Ça ne veut pas dire que nous cessons d'être bleus, mais au moins, on réussit à vivre avec...
-C'est toi qu'il a choisi. Un instrument de musique, c'est comme un chien: ça reconnaît son maître la première fois qu'il le rencontre.
Mais une fois que j'ai été allongé dans le noir et que j'ai entendu, venant du Café Paradis, l'écho de la chanson si douce et mélancolique avec laquelle, chaque soir, Buddy Joe annonçait le début du spectacle, j'ai versé en silence un océan de bleu : toutes les larmes que j'avais gardées prisonnières au fond de moi depuis le jour où j'avais compris que le noir n'est pas une couleur comme les autres.
J'ai eu soixante-huit ans ce matin. On m'appelle King Jackson, et un journaliste français m'a même baptisé "le roi des rois". Je suis toujours noir et de plus en plus fier de l'être.
Plus le voyage est long et plus la destination est belle.
Car c'est en persistant que l'on gagne.
Il y a des tas de choses qu'un homme ne sera jamais si le Bon Dieu ne lui a pas donné la bonne peau.
Le cornet à pistons et moi, on savait ce qu'on avait à faire. Et il en est sorti une autre note, encore plus ronde, encore plus moelleuse, encore plus ensoleillée que la première...