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Critique de Merik


Il peut être plus facile de parler à une pie qu'à un père. Surtout si ce dernier est cet anar déluré, poète aux excentricités facétieuses, spécialiste de l'escamotage familial, capable d'abandonner femme et enfant à la naissance comme il l'a fait pour Charlie et sa jeune maman. Heathcote Williams, vous connaissez ? Il a sa page Wiki, Charlie en sera un visiteur régulier faute de pouvoir connaître ce géniteur fanfaron qui se défile dans la vie, tout comme il sera un exégète forcené de son oeuvre dont ce poème à la teneur insaisissable sur un choucas. Même si Charlie a eu un vrai papa, présent quand tout ira à vau-l'eau : « Qui est ton papa ? Après tout ça, j'avais enfin ma réponse ». Un papa adoptif en ombre rassurante, qui malgré son statut de star du réel (David Gilmour des Pink Floyd, dont il ne sera absolument pas question ici) se fera très discret, juste appelé David par le narrateur (Charlie).
Car la véritable star de ce récit, ça sera bel et bien la pie (et ses consoeurs corvidés, dont on pourra apprendre beaucoup en plus de déconstruire pas mal d'idées reçues). La soeur de Yana – la compagne de Charlie – a récolté « une créature qui se carapate dans le caniveau », l'a refilé à sa soeur et voilà Charlie bien empêtré avec ce bébé corvidé dans sa boite en carton, d'autant que sa vie est à de ses tournants décisifs où l'on commence à envisager de construire, un foyer pourquoi pas, une paternité éventuellement. Mais comment se projeter serein dans l'avenir en étant « obsédé par l'idée du sang corrompu », avec « la peur d'être destiné à suivre les traces de son père biologique».
C'est dès lors à un ping-pong narratif entre la vie avec la pie et le pouvoir lancinant d'un rien, d'une absence qui a pris une place obsessionnelle dans la tête de Charlie que nous invite ce récit à la première personne. Heathcote a quant à lui élevé un choucas, comme un écho à une trentaine d'année d'écart qui résonne et donne « l'impression que le temps se replie sur lui-même. Deux hommes. Deux corvidés. » le récit se déploiera ainsi dans le passé et la vie de Charlie ou de Heathcote, en se cimentant peu à peu dans le présent de son joyeux tableau de famille, avec Benzene et sa queue comme « une baguette magique d'émeraude et d'or tissant des charmes dans l'air ».

Quoi de plus naturel pour un titre comme « Premières plumes » de signer l'entrée en littérature de son auteur. L'histoire de Charlie Gilmour est magnifique d'émotion retenue, touchante avec ses personnages aux excentricités plus ou moins grandes – dont Benzene, véritable oiseau de bonheur !–, elle agit comme un noeud inextricable d'attachement dans le coeur du lecteur avec sa prose aux images saisissantes, précise et parfois poétique, sans verser dans le sentimentalisme. Un récit de vie autobiographique – à minima dans ses grandes lignes, au moment d'envisager le couple et la paternité avec des gouttes de sang défectueuses dans les veines. Mais c'est aussi un récit profond aux accents de sincérité qui louvoie au coeur d'une longue quête, pas forcément identitaire, plutôt comme une envie de vivre libéré des âmes qui jouent « une partie de marelle intergénérationnelle », en faisant en sorte d' « exposer ces racines à la chaleur du soleil» pour les laisser se flétrir.

Difficile de tourner la page de cette histoire originale et bouleversante entre Charlie et sa pie Benzene, encensée à juste titre outre-Manche. J'ai adoré. Ni plus ni moins.
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