Citations sur L'air de l'éternité, d'après le journal de navigation d'Éric.. (33)
J’ai repris de l’océan, resplendi dans des couchants de fin du monde, respiré la mer. Je me suis abîmé dans son regard de ciel et d’orage. J’ai humé à pleins poumons l’air de l’éternité, puissant, calme, salubre.
Comme ces enfants qui ne cessent de demander quand est-ce qu’on arrive ? Mais jamais. Nous n’arrivons jamais. Nous ne faisons qu’aller et venir. Nous ne faisons que chercher. Toujours. Le bonheur, la paix, l’amour.
Une poche à moral qui reprend de la rondeur, je commence à ruminer du bonheur.
Pourtant je ne me sens pas encore prêt à affronter l’amour de Flo et l’affection de mes amis. Je reviens d’entre les morts, tenant la main d’une défunte. J’ai besoin de m’accoutumer à la lumière du jour, aux couleurs de la vie, même si, dans ce coin d’océan, elles sont plutôt ternes et sombres. Il me semble que je pourrais mourir d’entendre des voix chères. C’est évidemment idiot. Je tourne autour de l’ordinateur sans me résoudre à l’aborder.
La mort est une porte entrebâillée par où fuse de la lumière.
J’ai honte. La honte, c’est le dernier sursaut avant l’abandon, une dernière chance de vie. Je me lève, perclus de contusions et de peur, et me traîne jusqu’au pont. Vision d’apocalypse.
La mer est monstrueuse. L’horizon a disparu. Plus d’horizon, plus d’espoir. L’enfermement. Aucun moyen d’échapper à la dévoration. Les cinquantièmes m’emportent dans leur tanière.
Heureusement, le soir, c’est le grand chambardement des forains du Large. Ils installent tout au long du boulevard du crépuscule leur marché aux tissus. C’est un tourbillon de couleurs chatoyantes qui virevolte à même le ciel. Des nuances rares illuminent tout l’occident : indigo, azurine, carmin, garance… Mais j’aurai épuisé mon vocabulaire bien avant que les marchands ne soient à bout de couleurs ! Tant pis. Elles teinteront ma mémoire sans colorer mes mots.
Mais je suis vidé, vraiment vidé, de corps et d’esprit. Mais vidé de quoi, au juste ? Qu’ai-je jamais contenu sinon des prétentions, des illusions, des fantasmes ?
La raison est une bien petite chose face à l’orgueil démesuré de vivre, de vivre encore, de vivre malgré.
Elève émerveillé, les étoiles m’enseignaient, par l’entremise d’Isa, la beauté et la richesse de l’âme féminine.