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Critique de Musa_aka_Cthulie


Une des dernières pièces de Goldoni, composée en 1764 et brandie partout, ce que je ne savais pas quand j'ai décidé de la lire, comme la pièce la plus fine, la plus réussie, la plus tout-ce-qu'on-voudra de l'auteur. Ce qui m'a fait peur, pour tout dire. Soit on n'exagérait, soit je n'allais pas l'apprécier à sa juste valeur. Que de pression sur mes frêles épaules, déjà bien mises à mal par la capsulite (aïe, aïe !!!) Allais-je malgré tout relever le défi ? Ce fut un oui.


Et il faut bien dire que pour trouver des défauts à cette pièce relève, il faut bien chercher - à défaut de trouver. Elle est incroyablement bien construite, avec des personnages étoffés, et le style m'a étonnée par sa sobriété.


Au départ, une bête histoire d'amour entre deux jeunes gens un peu niais. Histoire qui va tourner au désastre à cause d'un fichu éventail cassé. Dans un petit village à la population très représentative de la société italienne de l'époque - aristocrates, bourgeois, paysans, artisans et commerçants, employés et domestiques -, Evaristo aime Candida, Candida aime Evaristo. Celle-ci ayant cassé son éventail, lui veut lui en offrir un autre, mais en cachette, pour que la tante et chaperon de Candida ne s'aperçoive de rien. Alors qu'à peu près tout le monde dans le village a compris qu'ils sont amoureux... Pour être discret, Evaristo achète un éventail à la mercière Susanna (ça commence bien question discrétion), pour ensuite le confier, dans la boutique et par conséquent sous le nez de Susanna, à Giannina, une paysanne qui travaille plus ou moins pour Candida. Vous imaginez bien que cet achat et la remise de l'éventail à Giannina ne va pas être sans conséquences, conséquences qui vont toucher tout le monde, se compliquer d'heure en heure, puis de minute en minute. Plus l'histoire de l'éventail est éventée (ah!), plus chacun s'imagine et raconte n'importe quoi. D'où bagarres, insultes, provocations en duel, vexations de toutes sortes, évanouissements, disputes, et, évidemment méprises à l'envi. Plus le temps passe, plus l'éventail change de mains, pour le plus malheur de tous. Il faudra user de rouerie pour régler l'affaire.


Question rythme et action, vous aurez saisi que tout y est, que la pièce ne connaît pas un temps mort, et que le lecteur est emporté de plus en plus vite dans un tourbillon d'agitation en tous genres. Les dialogues fusent, les acteurs se doivent de jouer autant avec le public qu'avec leurs partenaires, mais surtout, ces dialogues ne seraient pas aussi savoureux s'il n'y avait dans cette assemblée presque autant de personnages que de couches sociales. Or, si les aristocrates prétendent avoir le dessus sur tout le monde, les bourgeois se montrent tout aussi méprisants avec qui leur semble inférieur, et ainsi des artisans et commerçants qui n'ont aucun respect pour les paysans, domestiques ou le garçon de café. Et le fait est que personne ne respecte personne en tant que représentant d'un ordre social établi, que les bourgeois ferment leur caquet aux aristocrates, et que les commerçants et les paysans, tout en bas de l'échelle, rient au nez des nobles et des autres. Il n'est pas anodin que la première scène débute par un échange qui sent la lutte des classes entre un garçon de café, Evaristo et un baron. Quant aux jeunes bourgeois, à part s'affoler, bouder et s'évanouir (oui, oui, les mecs aussi s'évanouissent ici), ils ne sont pas bons à grand-chose - et pourtant, rien de tout ça (et quand je dis tout ça, c'est qu'il se passe vraiment beaucoup de choses) n'arriverait sans ces deux tourtereaux terriblement niais ! le Comte représente le personnage imbu de sa position sociale par excellence, ne payant jamais ce qu'il doit, assommant tout le monde de ses rodomontades, parlant à tort et à travers et proposant sa divine protection à... disons à tout le monde.


Il y a constamment rapports de force entre les personnages, qu'il s'agisse de domination en amour (et là les femmes seraient clairement perdante si elles n'en remontraient pas aux hommes comme le fait si bien Giannina), d'argent, ou de rang social. Il semble bien que Goldoni, à travers une comédie enlevée, drôle au possible, au style extrêmement naturel (style qui m'a d'ailleurs pas mal surprise ; si vous n'aimez pas Marivaux, essayez Goldoni !), ait cherché à rendre compte des mutations d'une société où les repères anciennement établis ne peuvent plus servir de balises sûres.


Un regret, pourtant. J'aimerais tant pouvoir lire le texte en italien, ou, encore mieux, pouvoir voir la pièce sur scène jouée par des comédiens italiens !



Challenge Théâtre 2020
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