AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Bookycooky


« A peine avons nous quitté la chaussée pour tourner sur la route forestière menant dans les profondeurs de la fameuse vallée d'Okovsk qui protège la source de la Volga, que le paysage semble étrangement appartenir à un autre temps ». « Un autre temps » , un autre espace, ici appartenant au passé , l'illusion d'un chronotope immuable qui aurait survécu au passage du temps et à la destruction par l'humain, est ce que cherche Vassili Golovanov à près de cinquante ans à travers ce voyage métaphysique . Car selon lui le peuple russe, et en conséquence lui, ont laissé leur coeur et leur âme dans un monde en voie de disparition. Et chaque voyage vers ces hauts lieux est fait dans l'espoir de retrouver il ne sait quelle source, métaphysique peut-être, de son pays ou de lui-même. Or en attendant de retrouver les moeurs originales , cette âme russe perdue, il faut commencer par supporter la triste réalité actuelle : l'absence de moeurs, l'amoralité, l'ivrognerie sans fond, l'indifférence et l'amnésie .
Il débute son voyage, à la recherche de la source de la Volga, ce fleuve, ligne invisible entre Europe et Asie , au-delà de laquelle il n'y a plus d'Europe et dont se démarque un autre climat, d'autres plantes, d'autres sous-espèces d'oiseaux. Son périple se poursuit à travers des personnages illustres de la Littérature et de l'Histoire russe, le magicien de la langue, Khlebnikov, l'écrivain Tourgeniev qu'il n'apprécie guère critiquant violemment son livre « Dimitri Roudine », caricature brossée de Bakounine l'anarchiste , acte vil à l'époque vu que ce dernier était emmuré sans espoir à Chlisselbourg. Parlant de Bakounine, il fait un détour par le parc Priamoukhino , domaine de sa famille, y attrapant l'occasion pour des réflexions sur « la philosophie des jardins », prônée par le père Bakounine au contraire du fils qui refusa cet héritage. Dualité d'un parc à jamais perdu mais où en souvenir de leur idole une nouvelle génération d'anarchistes y résistent, des personnes libres dans leurs âmes et leurs corps (?) refusant toute soumission aux règles conçus par les systèmes politiques . Bakounine étant symbole du Russe aux divers facettes, dont la dualité héros/ démon est poussée à l'extrême , le personnage ayant même inspiré le terrible caractère des Démons de Dostoievski , celui d'un mort-vivant: Nicholas Stavroguine.

La recherche de Golovanov semble désespérée, sa recherche du passé pour comprendre le présent et mieux affronter le futur vouée à l'échec . Il le sait et c'est pour cela je pense qu'il conclue son voyage avec le « Tchevengour » de Platonov, une allégorie sur l'esprit russe en général, l'infini du nomadisme, les grandes espaces, où l'on croise des bandits apparemment inoffensifs, « là , en attente de quelque chose qui ait du sens ». Ce pays, allégorie d'une vie vertueuse, retiré du temps de la vie quotidienne pour passer dans le temps de l'éternité loin de l'affairement mécanique des villes et des gens que Platonov connaissait bien.
Sa conclusion est amère, l'esprit révolutionnaire n'a finalement eu aucun issu, et l'anarchisme dans cet idéalisme déchu , aurait été le seul souffle capable de faire bouger les choses , «  seul une révolution perdue porte un levain qui peut faire bouger la société ». Désormais dit-il le monde est entré dans une nouvelle phase , la lutte des classes a laissé place aux luttes technologiques et d'information , aux manifestations contre la globalisation et à la militance technologique. « Et il faudrait bien qu'il se trouve quelqu'un pour proclamer que l'on continue à se moquer de nous, qu'on nous dépouille , on nous prive d'un milieu respirable et qu'on nous enferme obstinément dans le rôle de consommateur heureux du marché mondial ». ……

Au total six récits fascinants, où Golovanov géographe métaphysique , d'une langue poétique envoûtante, arpente son pays des sources de la Volga et des confins de la Mongolie aux rives de la Caspienne avec un voyage littéraire à Tchevengour , ville imaginaire de Platonov. à travers lieux et personnages mythiques. Au coeur de ces récits une grande nostalgie pour L'Espace , symbole d'une liberté véritable , qui n'a subit aucune division par la volonté stupide de l'intelligence humaine. Comme disait mon copain bobfutur qui me l'a fait connaître, un livre dont on n'aimerait jamais voir le bout.

« Il n'y a de dieu que Dieu. »
« La particularité de l'ordre du monde russe et de la structure post-révolutionnaire est le « tout ou rien ». le « tout tout de suite » ne réussit pas, alors il reste le rien- d'où Tchevengour .Nous nous sentons bien dans notre rien. »
Commenter  J’apprécie          11512



Ont apprécié cette critique (111)voir plus




{* *}