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EAN : 9782864326625
244 pages
Verdier (01/03/2012)
4.37/5   19 notes
Résumé :
Chacun de ces récits est un voyage à partir d'un lieu obstinément déplacé, décentré : la source introuvable de la Volga, les espaces farouches des grandes steppes du Sud où la Russie européenne se perd dans les méandres des civilisations asiatiques. Touva, une des dernières républiques soviétiques, terre de chamans où se mêlent les croyances et les langues. Tchevengour, ville mythique de l'ingénieur-écrivain Platonov, près de la mer Caspienne, qui, écrit Golovanov, ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
« A peine avons nous quitté la chaussée pour tourner sur la route forestière menant dans les profondeurs de la fameuse vallée d'Okovsk qui protège la source de la Volga, que le paysage semble étrangement appartenir à un autre temps ». « Un autre temps » , un autre espace, ici appartenant au passé , l'illusion d'un chronotope immuable qui aurait survécu au passage du temps et à la destruction par l'humain, est ce que cherche Vassili Golovanov à près de cinquante ans à travers ce voyage métaphysique . Car selon lui le peuple russe, et en conséquence lui, ont laissé leur coeur et leur âme dans un monde en voie de disparition. Et chaque voyage vers ces hauts lieux est fait dans l'espoir de retrouver il ne sait quelle source, métaphysique peut-être, de son pays ou de lui-même. Or en attendant de retrouver les moeurs originales , cette âme russe perdue, il faut commencer par supporter la triste réalité actuelle : l'absence de moeurs, l'amoralité, l'ivrognerie sans fond, l'indifférence et l'amnésie .
Il débute son voyage, à la recherche de la source de la Volga, ce fleuve, ligne invisible entre Europe et Asie , au-delà de laquelle il n'y a plus d'Europe et dont se démarque un autre climat, d'autres plantes, d'autres sous-espèces d'oiseaux. Son périple se poursuit à travers des personnages illustres de la Littérature et de l'Histoire russe, le magicien de la langue, Khlebnikov, l'écrivain Tourgeniev qu'il n'apprécie guère critiquant violemment son livre « Dimitri Roudine », caricature brossée de Bakounine l'anarchiste , acte vil à l'époque vu que ce dernier était emmuré sans espoir à Chlisselbourg. Parlant de Bakounine, il fait un détour par le parc Priamoukhino , domaine de sa famille, y attrapant l'occasion pour des réflexions sur « la philosophie des jardins », prônée par le père Bakounine au contraire du fils qui refusa cet héritage. Dualité d'un parc à jamais perdu mais où en souvenir de leur idole une nouvelle génération d'anarchistes y résistent, des personnes libres dans leurs âmes et leurs corps (?) refusant toute soumission aux règles conçus par les systèmes politiques . Bakounine étant symbole du Russe aux divers facettes, dont la dualité héros/ démon est poussée à l'extrême , le personnage ayant même inspiré le terrible caractère des Démons de Dostoievski , celui d'un mort-vivant: Nicholas Stavroguine.

La recherche de Golovanov semble désespérée, sa recherche du passé pour comprendre le présent et mieux affronter le futur vouée à l'échec . Il le sait et c'est pour cela je pense qu'il conclue son voyage avec le « Tchevengour » de Platonov, une allégorie sur l'esprit russe en général, l'infini du nomadisme, les grandes espaces, où l'on croise des bandits apparemment inoffensifs, « là , en attente de quelque chose qui ait du sens ». Ce pays, allégorie d'une vie vertueuse, retiré du temps de la vie quotidienne pour passer dans le temps de l'éternité loin de l'affairement mécanique des villes et des gens que Platonov connaissait bien.
Sa conclusion est amère, l'esprit révolutionnaire n'a finalement eu aucun issu, et l'anarchisme dans cet idéalisme déchu , aurait été le seul souffle capable de faire bouger les choses , «  seul une révolution perdue porte un levain qui peut faire bouger la société ». Désormais dit-il le monde est entré dans une nouvelle phase , la lutte des classes a laissé place aux luttes technologiques et d'information , aux manifestations contre la globalisation et à la militance technologique. « Et il faudrait bien qu'il se trouve quelqu'un pour proclamer que l'on continue à se moquer de nous, qu'on nous dépouille , on nous prive d'un milieu respirable et qu'on nous enferme obstinément dans le rôle de consommateur heureux du marché mondial ». ……

Au total six récits fascinants, où Golovanov géographe métaphysique , d'une langue poétique envoûtante, arpente son pays des sources de la Volga et des confins de la Mongolie aux rives de la Caspienne avec un voyage littéraire à Tchevengour , ville imaginaire de Platonov. à travers lieux et personnages mythiques. Au coeur de ces récits une grande nostalgie pour L'Espace , symbole d'une liberté véritable , qui n'a subit aucune division par la volonté stupide de l'intelligence humaine. Comme disait mon copain bobfutur qui me l'a fait connaître, un livre dont on n'aimerait jamais voir le bout.

« Il n'y a de dieu que Dieu. »
« La particularité de l'ordre du monde russe et de la structure post-révolutionnaire est le « tout ou rien ». le « tout tout de suite » ne réussit pas, alors il reste le rien- d'où Tchevengour .Nous nous sentons bien dans notre rien. »
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Le genre de livre dont on aimerait ne jamais voir le bout.
Le genre d'écrivain qui s'affranchit des frontières entre roman, récit et biographie ; qui nous entraîne dans ses voyages « d'improbables géographes métaphysiques », à la recherche des mythes rendant vie à une terre, loin des guerres et de l'ignorance de l'autre, quête douloureusement dérisoire mais plus que jamais nécessaire…

Golovanov nous a définitivement quitté l'année dernière, léguant au monde son concept de « géopoétique », dont son livre « Eloge des voyages insensés » en est le premier chef-d'oeuvre.
Cet « Espace et labyrinthes » comme unique autre traduction française, enjoignant le lecteur avide d'évasion à militer auprès de la maison d'éditon jaune (et anciennement bleue…) pour qu'elle continue son travail de transmission, plus que jamais nécessaire.
Mesdames et messieurs de chez Verdier, s'il vous plait, rendez-nous disponible le reste de son oeuvre, vous qui avez déjà été primés pour cela ( voir : https://www.babelio.com/liste/19446/Prix-Russophonie ) … plus que jamais…

Note maximale comme battement d'ailes face aux chants et vociférations; face à ces slogans qui plus que jamais nous rapprochent du mur, accélérant l'impact prochain de tout un monde qui s'émiette, la littérature comme refuge négligeable et déserté…

Redécouvrons ensemble cette terre à la frontière floue entre apollinien et dionysiaque, elle qui nous a donné bien peu de philosophes, mais une infinité de romanciers et de poètes, ici Platonov, là Khlebnikov ; et laissons les autres se débattre avec leur ultracrépidarianisme, jargonnage quelque peu barbare pour exprimer un phénomène si courant, fait de parler de sujets que l'on ne maitrise pas complètement, menant paradoxalement à des avis bien tranchés…
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En quête d'une source, d'une eau où ne pas perdre pied pour se tenir plus fermement sur terre…

« Espace et labyrinthes » donne un avant-gout du festival Etonnants Voyageurs qui prendra début juin ses quartiers estivaux à Saint Malo. Vassili Golovanov est en effet un véritable voyageur, un étonnant voyageur c'est le cas de le dire, aventurier dans son propre pays, un Nicolas Bouvier russe, allant, le « coeur ouvert » dans les recoins de sa terre natale, plus précisément sur le territoire immense de la Volga, qui relie tous les russes par des liens de filiation « comme s'il s'agissait non de fleuve et d'eau, mais d'artère et de sang », pour capter l'âme russe. Avant qu'elle ne disparaisse, menacée par la culture actuelle du post-modernisme. L'épigraphe de ce beau livre délectable et érudit donne le ton :

« La terre natale appartient toujours à une géographie du sacré. Pour moi, elle est au centre d'une mythologie inépuisable. C'est grâce à cette mythologie, que j'ai réussi à connaître sa véritable histoire. La mienne aussi, peut-être » - Mircea Eliade, « l'épreuve du labyrinthe ».

Une recherche semée de mystères, patiente et attentive, tendre et poétique, dans les trous perdus, dans les villages désertés où il ne reste qu'une poignée d'habitants, dans les vastes plaines désertiques, une quête labyrinthique au sein même de l'immense espace russe pour, via un regard et une sensibilité éminemment poétique, se reconnaitre. Aller à la source pour retrouver ses propres racines. Puis remonter le fleuve et s'aventurer sur les vastes plaines désertique de la Russie asiatique, superposition de couches culturelles multiethniques, jusqu'au delta de la Volga, ce couloir célèbre entre Oural et Caspienne « un des lieux les plus échevelés de l'histoire », lieu d'incessantes vagues migratoires. La Volga traverse la Russie, cette terre qui unit l'Europe et l'Asie, qui juxtapose le trop-plein et le vide, la beauté produite par les hommes versus la beauté des origines, l'espace verrouillé collé à un espace ouvert à tous les vents et tous les temps… Six textes magnifiques pour six lieux emblématiques.

La poésie de Vassili Golovanov permet de sertir de mots ces espaces ; elle chante la diversité, magnifie les paysages, met à l'honneur les mythes, donne la parole aux humbles, honore les héros nationaux, symboles du peuple russe, les poètes comme Khlebnikov, les écrivains comme Andréï Platonov, l'anarchiste Bakounine. Elle exhume les cultures oubliées, ensevelies.
L'auteur est un géopoète, l'espace martèle sa poésie et permet de franchir les labyrinthes. Il est même un "géobiopoète" dans le sens où il entrelace espace et personnages mythiques au moyen d'une langue universelle, la poésie, enveloppant de douceur ce voyage métaphysique.

« le hasard a voulu que ce contexte ici fût une île. Une petite île, une réserve naturelle encerclée par des eaux saumâtres et nonchalantes, envahie de saules, d'églantiers et de tamaris, tapissée de roseaux, d'herbes dures comme du métal : absinthe, chanvre, liserons. C'était la fin de l'automne. le jour, les abeilles essaimaient dans les trous caverneux des troncs de saules centenaires creusés par le temps, se délectant des derniers rayons de soleil. La nuit, à l'heure où chuchotent les saules sous les étoiles froides et muettes, les craquements des roseaux et les éclaboussures sonores des silures dans l'eau noire faisaient écho aux bruissements et aux pulsations cosmiques ».

Alors, certes, la poésie est somptueuse, le voyage passionnant et érudit, pourtant il règne un sentiment doux-amer d'échec dans certaines de ses réflexions. Comme une fatalité. le long chapitre dédié à Bakounine montre que l'anarchisme aurait pu être une voie, surtout au regard des impasses et des illusions apportées par la Révolution mais cette voie n'a pas été entendue et désormais « le monde est entré dans une nouvelle phase, la lutte des classes a laissé place aux luttes technologiques et d'information, aux manifestations contre la globalisation et à la militance technologique ». Un citoyen est avant tout aujourd'hui un consommateur dans un marché global.
Par ailleurs, il le souligne à plusieurs reprises, « pour comprendre ce qu'est son pays aujourd'hui, il faut se préparer non pas à étudier des moeurs originales et à enregistrer les traditions orales mais avant tout à supporter l'absence de moeurs, l'amoralité, l'ivrognerie sans fond, l'indifférence et l'amnésie, au sens le plus exact et le plus insoutenable de ce mot », avec quand même, une fois cela conscientisée, un espoir lorsqu'il rencontre des gens qui, d'une façon étonnante « allient la mémoire du grand passé, la dignité du présent et le magnétisme du futur, les trois temps de l'espoir ».

L'amour et la littérature semblent finalement être la planche de salut permettant d'atteindre le but que s'est fixé l'auteur. Comme l'attestent respectivement le texte central « le territoire de l'amour » et le dernier chapitre qui clôt l'ouvrage « Vers les ruines de Tchevengour », relecture par l'auteur des oeuvres d'un certain Platonov, ingénieur bolchévique qui a écrit un livre prophétique, véritable allégorie de l'esprit russe. Vassili Glovanov y trouve des clés précieuses faisant écho d'ailleurs à la politique russe contemporaine, même si l'auteur ne le mentionne pas expressément. « Il n'est pas facile d'avouer qu'à un moment donné, on est porteur à son insu de tant de ténèbres sauvages », écrit-il…Ce chapitre est complexe et mériterait pour ma part une relecture mais, nous le sentons, la clé est là, palpitante.

"Espace et labyrinthes" est une quête riche, érudite, passionnante. Via le voyage, la poésie et la connaissance fine et contextualisée de la vie et de l'oeuvre des grands personnages emblématiques du peuple russe, cette quête semble avoir atteint son but malgré quelques réflexions en demi-teinte. Elle nous donne à nous lecteurs occidentaux des clés de compréhension intéressantes tout en nous abreuvant d'une poésie magnifique. Une lecture que je dois, une fois de plus, à @bobfutur et @BookyCooky. Merci !

« Il nous fallait encore nous emplir de cette lumière, de cet espace, avant de répandre le pollen magique que nous avions récolté », voilà le sentiment fort qui m'étreint après la lecture d'un tel livre, un livre rare.

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C'est avec une certaine appréhension , un sentiment complexe d'imposture ( je ne suis pas russophone , je ne m'intéresse à la littérature russe contemporaine que depuis peu) et d'écrasement ( la formidable critique d'Idil @Bookycooky dit l'essentiel, voir l'essence du livre ) que j'ai finalement sorti Espace et Labyrinthes de ma petite pile à lire spéciale.
Après quelques lignes j'ai fait une sorte de recherche biographique exhaustive pour me rapprocher de l'auteur car c'est d'une oeuvre puissamment incarnée qu'il s'agit. J'ai appris que Vassili Golovanov était décédé l'année dernière à 60 ans et qu'on le surnommait le Nicolas Bouvier russe. J'ai compris que son chef d'oeuvre était Eloge des voyages insensés que j'ai fini par trouver après pas mal de difficultés.
Bon, alors comment parler d'Espace et labyrinthes après tout cela et une lecture qui se vit, qui se ressent avant que d'être intellectualisée.
Bien sur il y a 6 textes apparemment différents mais dont les connexions sont inouïes .
Je ne savais pas ce qu'était la géopoésie et j'ai été subjugué . Kerouac, Bouvier ou Chatwin m'avait déjà mis sur le flanc mais c'était il y a si longtemps .....
Golovanov voyage, écrit, photographie et conglomère linguistique, chants d'oiseaux, paysages ,philosophie, mythes, mystique et paraboles.
C'est une"langue élément " inspirée par Platonov.
C'est d'une beauté époustouflante et un peu folle. Imaginez un peu : Avec 2 potes il décide, à partir du chef d'oeuvre de Platonov, de partir à la recherche d'une ville .....qui n'existe pas ! Je cite, ne prenez pas peur:
"Une grille d'analyse mathématique de la langue platonicienne révélerait probablement que chaque mot chez lui est si intimement lié aux autres que, ne supposant pas la somme des contraintes, le texte explose en libérant une multitude de ses significations"
Et avec ça le mec prend sa Lada 4X4 et ses potes et part, portés par le vent d'une langue insensée."Je ne savais rien du vent"
J'ai adoré découvrir les sources ( La source !) de la Volga, me perdre dans les méandres de son delta en mer Caspienne pour entendre les oiseaux "qui commentent le récit, annonçant l'avénement des dieux (les voix des oiseaux sont retranscrites avec toutes la précision que permet l'écriture! )"
J'ai suivi avec passion l'épopée de Bakounine et compris que la nouvelle génération anarchiste était surtout écologique.
Le journal de la Touva est une épopée merveilleuse et épique aux confins de la Mongolie. Nous y croiserons un cavalier en bleu :" Soudain, du fond de la steppe, surgis on ne sait d'où des chevaux noirs et luisants, aux moins deux cents têtes, déferlèrent aux milieu des herbes jaunes. Un cavalier en caftan bleu, superbe,galopait à leurs côtés, sans se laisser devancer,controlant tout son troupeau de main de maître. Au bord du lac, le troupeau ralentit.Les cheveux jouaient et s'abreuvaient, le cavalier attendait. Il fit boire sa monture en dernier...."
La classe quand même, ça subjugue. On ne comprend pas forcément tout et heureusement, le texte nous interpelle ainsi ailleurs et autrement. Dans une autre dimension, un autre temps.
"Elle savait ( la chaman )que les vieux arbres dont le tronc est creusé sont doués de raison"
Il y a aussi dans ces textes somptueux et parfois mélancoliques le constat d'une aporie , d'une impossibilité des utopies en Orient comme en Occident.
Car Golovanov est lucide : nous ne seront heureux que dans le sacrifice et peut être l'anéantissement.
Mais c'est un peu ce qui se passe non?
Golovanov est il "un nihiliste esthétisant travaillant à la transformation de la matière brute du langage quotidien en substance poético-explosive" ?
Oui et non et Hélène Châtelain le résume dans son 4e de couverture /
"Golovanov a le souci de la transmission de ce qui fut à ce qui vient"
J'ai hâte, mais pas trop, de lire Eloge des voyages insensés.
Je veux me laisser porter encore quelque temps par le vent magique de la géo-poésie de Vassili. Refaire un petit tour de Lada avec son pote ornithologue, un poète compliqué et son chauffeur alcoolique et fidèle .
Quelle merveille ! Quel voyage!
Il faut le lire pour le croire.
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Avec ces six textes de longueurs diverses l'auteur, un peu à la manière de Nicolas Bouvier nous entraîne à la découverte de l'espace russe, voyage physique, métaphysique, culturel, littéraire, poétique voire à la lumière des événements de 2022, politique. Hélas, Vassili Golovanov nous a quitté l'an dernier.
Le premier voyage est un retour aux sources de la Volga, pour retrouver ses propres racines, « ce je-ne-sais-quoi qui pour moi fut et reste la substance de notre peuple, de notre vie, et sans lequel notre immense littérature (l'un de nos rares apports à la culture universelle) deviendra pour nos enfants, aussi illisible qu'une écriture cunéiforme. », loin du monde globalisé postmoderne, loin du triste réel actuel. L'auteur sait à merveille percevoir et communiquer la poésie des paysages et leur beauté.
Ensuite il nous emmène dans le delta de la Volga, au bord de la Caspienne, texte poétique et complexe. Puis nous voilà plongés dans la poésie de Velimir Khlebnikov dont le père, botaniste et ornithologue, fut fondateur du premier parc naturel russe, justement dans l'embouchure de la Volga. L'auteur parle d'oiseaux pour nous inconnus et nous plonge dans leur environnement. C'est somptueux.
Le troisième texte, toujours aussi poétique, assez énigmatique, nous transporte aux abords de la Caspienne, près du Bogdo, mont de toute beauté avec ses affleurements de grès rouges.
Suit un très long texte sur Bakounine, et sur le domaine de Priamoukhino transformé par son père en un parc où règne l'harmonie et ce qu'il appelait « la philosophie des jardins ». (Le fonds Bakounine existe toujours et depuis y organise chaque année « Les lectures de Bakounine à Primoukhino », petit événement international parfois sous forte surveillance policière ces derniers temps !).
Le plus long texte est consacré à l'Asie et aux steppes de l'Asie centrale, le lecteur part avec l'auteur à la recherche d'authentiques chamanes et passe avec lui une nuit inoubliable à la belle étoile en Mordovie. C'est aussi l'occasion de découvrir quelques mythes importants (le Grand Interdit de Gengis Khan, la Shamala, ...) et le personnage haut-en-couleurs du baron von Ungern-Sternberg, russe d'une famille d'origine allemande installée en Estonie et convertie au bouddhisme, qui se donna pour mission de créer un vaste empire asiatique (en lutte contre la culture matérialiste de l'Europe et contre la Russie soviétique) et conquit la Mongolie.
Les constats qu'il fait au passage ,au fil de ses pérégrinations, sur l'état de la Russie sont les mêmes que ceux que font la plupart des Russes et Poutine même, mais sa vision de solutions possibles est diamétralement opposée. La Russie a perdu de sa grandeur, elle va mal, mais visiblement il ne place pas la grandeur de la Russie dans les mêmes choses. Certaines phrases ont des allures prophétiques (le livre est paru en 2008) : « Chez nous, l'histoire est catastrophique : elle efface littéralement tous les projets de la surface de la terre et les rend au temps abyssal (à l'argile). » Il faut dire que le dernier texte, sur un voyage à la recherche du Tchevengour d'Andreï Platonov, est loin d'être mon préféré car, n'ayant pas lu ce livre, j'ai eu beaucoup de mal à suivre les réflexions métaphysiques de l'auteur, qui l'amènent à une conclusion amère sur l'absence d'issue des révolutions («  seule une révolution perdue porte un levain qui peut faire bouger la société » ) et à en déduire une issue alarmante : « C'est pourquoi nous sommes prêts à tout faire disjoncter, nous provoquons des catastrophes et des malheurs, des fractures du temps historique. » Terrible et douloureux avec le recul.
Un très bel ovni littéraire !
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critiques presse (1)
Bibliobs
16 août 2012
Qu'il remonte la Volga en quête de son introuvable origine, cherche la vérité chamane aux confins de la Mongolie, ou relate un périple bien réel pour identifier les ruines d'une ville utopique, la Tchevengour de l'écrivain Platonov, c'est la culture russe que Golovanov, le meilleur tour operator au monde pour ce genre de réjouissances, arpente sans fin comme une steppe obsédante, semée d'embûches et de séductions.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
C'était un matin blanc. Coupant le pacage en direction du lac, seule la trace noire laissée par les pas d'un pêcheur de l'aube serpentait entre les roseaux secs couverts de givre qui fondait en gouttelettes limpides. Avec le lever du soleil, le ciel au-dessus du lac virait au bleu, un bleu d'automne, étincelant. Sur le versant éclairé, entre les sombres broussailles, un incendie rose tourbillonnait, et les feuillages des arbres déjà clairsemés flamboyaient. Les toiles d'araignées planaient en parachute, les feuilles une à une glissaient au sol, dans un silence absolu que rompait, au plus profond de la forêt, le cri brusque du geai ou celui en écho de la corneille : tout ici relevait du prodige.
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Il me semblait être l'homme le plus heureux au monde, il ne possédait rien. Rien de superflu, seulement ce qui pour lui était l'essentiel. Alors que moi je n'avais que du superflu : des relations inutiles, un travail inutile, une maison inutile où je vivais de façon inutile, sans dieu et sans espoir. Soudain, dans le jardin de l'église, le vent fit tanguer les tilleuls de mars, un vol de choucas tournoya au-dessus des coupoles, et j'eus l'intuition que cette source de vie m'était connue, qu'il suffisait que j'arrive à me souvenir de l'endroit où elle se trouve pour savoir comment vivre !
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Nous avons dilapidé l'image poétique de notre terre. Sans mythe, la terre est inerte, muette, vouée à l'oubli. Aucun mythe, jamais, ne pourra pousser par décret. Il ne peut naitre que d'efforts fervents pour survivre, pour se "sauver", d'espoirs et de pèlerinages, de folles prophéties, de photographies, de cartes, de films, d'hommages au labeur du paysan sur sa terre, et d'un acharnement à lire tous les livres oubliés et les écrits d'improbables géographes métaphysiques à travers lesquels progressivement prendre forme un nouveau visage de la Russie du troisième millénaire...
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…en quittant la Russie, Bakounine rêve à tout autre chose et son rêve se réalise. Il est étudiant en philosophie à l’université de Berlin ! …les études ne le satisfont pas pour longtemps . Pire , la métaphysique , matière dans laquelle, en vérité, il excellait, lui apparaît soudain comme une science sèche, stérile : «  J’y cherchais la vie alors qu’elle est porteuse de mort et d’ennui; je cherchais des actes , et elle n’est porteuse que de passivité. »
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J'ai toujours été surpris par le sentiment de plénitude que me procure immanquablement la vision des confins désertés du monde. A quoi comparer le sentiment débordant de paix qui emplit l'âme devant ces vagues de sable ? Il y a l'éternité et il y a soi. Le désert et l'homme. Aucun "problème de civilisation".
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