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Critique de Nastasia-B


Le Domaine Des Dieux est l'une des quelques aventures « à domicile » d'Astérix. Ici, pas de grand dépaysement ou de voyage dans l'espace, mais plutôt un grand voyage dans le temps, en accéléré, vers le futur et son urbanisation sauvage et à outrance, qui défigure la nature et modifie à jamais l'esprit des habitants de l'endroit.

Des boutiques à touristes à la faune privée de son biotope, les auteurs balaient tous azimuts et avec brio. C'est même un Goscinny très en forme qui signe probablement dans cet album l'un de ses tout meilleurs calembours avec le fameux « il ne faut jamais parler sèchement à un Numide ».

Le synopsis, quel est-il ? César, agacé par cette résistance farouche à sa coercition du village des irréductibles Gaulois, décide d'en venir à bout par la ruse, en en faisant de très minoritaires résidents d'un gigantesque ensemble urbain. Les villageois indigènes seraient alors réduits à l'état de curiosité archaïque, exactement comme les indiens des réserves dans Lucky Luke, détail qui prouve que c'est une idée très fermement ancrée en Goscinny (à raison selon moi) que cette dénaturation du caractère authentique d'un groupe ethnique par son contact trop étroit avec la société dominante.

Le problème, évidemment, c'est qu'il va falloir le construire ce vaste domaine urbain, et avec des teigneux de la première espèce comme le sont les Gaulois de ce village, l'opération risque d'être délicate. César délègue sur place le vaillant architecte Anglaigus, qui contrairement à la majorité des Romains dépeints dans Astérix, s'avérera méticuleux, obstiné et absolument pas poltron, bien que son moral ait de fortes raisons de connaître des chutes.

Eh oui ! car outre le fait d'être épaulé par des légionnaires romains notoirement couards, paresseux et incompétents, quant à eux, il faut aussi qu'il compose avec les soulèvements des esclaves et les glands enrobés de potion magique qui font repousser un chêne mature aussi vite qu'Anglaigus les abat, sans compter les morsures d'Idéfix dirigées vers son fessier, lui le grand défenseur de la cause végétale.

On lit aussi, en filigrane, des messages plus subtils et qui doivent susciter notre réflexion, notamment, celle que toute industrie ou activité quelconque employant de nombreux salariés (en l'occurrence ici, pas toujours salariés), aussi nuisible soit-elle pour l'environnement ou la santé de ses employés n'est pas si facile à juger.

Car aussi néfaste soit-elle, cette entreprise fait vivre des gens qui n'ont que ça pour vivre. S'en prendre à cette entreprise peu scrupuleuse, c'est avant tout s'en prendre aux derniers maillons, les pauvres bougres qui n'y sont pour rien. Cela ne vous rappelle rien ? Des pêcheurs espagnols aux orpailleurs de Guyane en passant par les roses ou les truites produites en Afrique pour alimenter Rungis ?

Goscinny place dans la bouche de l'esclave numide Duplicatha cette superbe phrase : « Vous nous empêchez de devenir des hommes libres, en nous empêchant d'achever le travail. » À méditer à l'aune d'un certain « Arbeit macht frei », thème qu'avait également repris Paul Grimault dans son magnifique film d'animation le Roi Et L'Oiseau…

Et comme si cela ne suffisait pas, il en rajoute une couche sur le syndicalisme et le droit du salarié dont chacun pourra trouver sa propre morale car René Goscinny pointe le doigt (et décide de s'en amuser) sur tous les excès, de part et d'autre, tant du côté salariat que du côté patronat, qui font que jamais tant que l'humain sera humain, ces deux engeances ne pourront s'entendre pour leur bien mutuel.

En bref, encore un très bon cru, pas forcément très accessible pour les jeunes enfants, mais délectable après, du moins c'est mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.

N.B. 1 : vous avez sous les yeux le seul Astérix de l'ère Goscinny où Obélix ne figure pas en couverture.

N.B. 2 : comparez, si le coeur vous en dit, la façon dont est représenté Vercingétorix aux pieds De César, lorsque, comme ici, c'est César qui parle, ou bien dans "Le Bouclier Arverne", la même vignette, mais quand ce n'est plus César qui parle. Bravo à Uderzo pour cette subtilité.
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